Julie et Salaberry
même dâOvide.
â De quel droit ces gens se présentent-ils chez moi? protesta le maître de maison avec vigueur.
â Père, ils ont tous été invités par Emmélie, répliqua René, enjoignant ce dernier au calme.
â Votre fils a raison. Vous nâavez rien à craindre de vos ennemis, puisque vous êtes chez vous et entouré de vos meilleurs amis, dit Ovide.
Ses paroles eurent pour effet dâapaiser le bourgeois.
â Monsieur Boileau, intervint alors Papineau, puisque messire Bédard a son avocat, pourquoi nâauriez-vous pas le vôtre? Si vous le permettez, je me mets immédiatement à votre disposition.
â Cette offre est pleine de sens, murmura René à lâoreille de son père.
Ovide darda Papineau dâun regard outré: «De quoi se mêle-t-il, celui-là ?»
â Ce nâest pas le moment de faire un esclandre, conseilla Papineau. Bédard est extrêmement habile et pourra sâen servir contre vous. Faites bonne figure pour le reste de la soirée en allumant le calumet de paix.
â Câest bien ce que je disais, ajouta Ovide qui souhaitait sâattirer les grâces du père dâEmmélie.
Pendant quâon sâoccupait de tenir les protagonistes à bonne distance, les dames sâéparpillaient dans la pièce, heureuses de se retrouver enfin. Emmélie eut une soudaine inspiration qui rassemblerait tout le monde.
â Des huîtres nous attendent à la cuisine. Qui mâaime me suive! lança-t-elle dâun ton joyeux.
â Des huîtres! répéta Marie-Josèphe avec une expression gourmande.
â Jâen suis, déclara Françoise Bresse, qui souhaitait ardemment retrouver la bonne entente dâautrefois.
â Comptez sur moi, sâempressa de dire Ovide.
â Allons, venez, dit Sophie en attrapant son fiancé Toussaint Drolet par la main. Nous allons nous régaler.
La cuisine dâUrsule fut prise dâassaut par les invités. Les messieurs ouvraient les huîtres, puis les demoiselles les disposaient sur de larges plateaux. Les verres se remplissaient de cidre gris et le tout se déroulait dans une atmosphère enjouée. Emmélie se félicitait dâavoir eu lâidée dâen commander plusieurs caisses, car tout le monde raffolait des huîtres.
â Rien nâest plus amusant quâune activité improvisée, disait Charles à Julie. Elles sont exquises, fit-il en en avalant une.
â Il y a longtemps que nous nâavons eu autant de plaisir, approuva-t-elle.
Le regard pétillant et les cheveux légèrement défaits, lâexcitation la rendait jolie. Il lui sourit, puis son visage prit un air songeur.
â Julie, dit-il, le général de Rottenburg me réclame. Je repars à Montréal sous peu. Jâavoue que jâaurai peine à vous laisser.
â Je vous regretterai également, répondit-elle spontanément.
Elle constatait avec étonnement quâelle souhaitait le voir prolonger son séjour afin que durent les moments agréables que sa présence apportait.
â Rien ne pouvait me faire plus plaisir que dâentendre cela, prétendit Salaberry. Penserez-vous de temps en temps à votre cousin Charles?
â Je ne vous oublierai pas, répondit-elle en baissant les yeux devant son air séducteur. Reviendrez-vous nous voir?
â Je vous le promets. Entre-temps, pourquoi ne pas nous écrire?
Il sâempara de sa main et la serra dans la sienne. Ã ce contact, elle frissonna.
â Câest dâaccord, écrivons-nous, répondit-elle timidement.
Au-dessus de la grande table qui trônait au milieu de la cuisine, son regard croisa celui de René qui les observait. Elle rougit de plus belle.
â Alors, mademoiselle Boileau, la tournure des événements vous convient? demanda Papineau à Emmélie.
Depuis le début de la soirée, il attendait lâoccasion de lui parler seul à seul.
â Jâai craint que notre maison ne se transforme en champ de bataille, et je préfère nettement ce désordre-là , ajouta-t-elle en montrant les invités qui se régalaient joyeusement.
Louis-Joseph Papineau observait son hôtesse. Elle nâétait pas une de ces beautés à la mode, avec son teint bistré et ses yeux sombres, mais il avait rarement vu un regard aussi
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