Julie et Salaberry
«Jâai envoyé un Canadien rencontrer son Créateur, pas plus tard quâhier!»
â Oh! sâindigna Papineau. Quel acte ignoble!
â Oui, approuva Julie, choquée. Qui était ce monstre?
â Chère cousine, vous imaginez sans peine mon indignation, dit Salaberry en la regardant. Dâautant que le combat avait été inégal. Lâinfâme individu était un duelliste redouté et expérimenté. Or, il nâavait pas hésité à provoquer mon ami qui ne manquait pas de courage, mais était bien mauvais bretteur.
â Alors, quâavez-vous fait? demanda Ovide.
â Il fallait que je sois jeune et impétueux pour avoir répliqué ce que jâai répliqué, ce jour-là .
â Câest-à -dire? dit Sophie, suspendue à ses lèvres.
â Eh bien, mademoiselle, mon honneur étant piqué au vif, jâai répliqué à ce fat, pour le provoquer: «Dès que jâaurai terminé ce déjeuner, vous aurez le plaisir dâen découdre avec un autre!»
â Ãa alors! échappa Zoé en battant des mains.
â Quel courage! fit Sophie, admirative. Quâavez-vous fait par la suite? Vous lâavez giflé?
â Mais il fallait faire plus, sâécria Toussaint Drolet. Semblable insolence méritait réparation par lâépée!
Salaberry approuva du chef. Assurément, le jeune marchand ne manquait pas de courage non plus.
â Vous avez compris, monsieur Drolet, que je convoquai lâinsolent à mâattendre avec ses témoins sur-le-champ. Jâarrivai moi-même entouré de nombreux amis, je retirai ma veste, sortis mon sabre de son fourreau etâ¦
Joignant le geste à la parole, Salaberry prit la position dâun homme décidé à affronter son ennemi, brandissant un sabre imaginaire devant les «Oh!» affolés des dames. Julie ne quittait pas des yeux son cousin, subjuguée par son audace fougueuse. Il lui adressa un sourire et reprit son histoire.
â Câétait pure folie, car jâaurais pu y laisser ma peau. Je mâélance. Jâavais affaire à un solide escrimeur qui ne manquait pas de panache, connaissant toutes les feintes de lâart. Il mâagace, teste mes réflexes, maintient ses attaques méthodiques, cherchant à me fatiguer. Et je riposte, la peur au ventre.
Tout en racontant, il jouait la scène du combat. Dans un grand geste, il fit mine de se protéger.
â Soudain, vlan! Mon assaillant entaille ma tempe gauche et je suis aveuglé par le sang qui jaillit. Mes amis interviennent et demandent lâarrêt du combat pour me panser.
Julie retint un cri dâeffroi derrière son éventail et Emmélie, captivée par le récit, poussa un profond soupir de soulagement. Papineau lui tapota une main pour la réconforter tandis que Salaberry reprenait.
â Mouchoir sur la tempe, ivre de douleur et de fureur, je retourne au combat. Je veux découper ce Prussien en quartiers.
â Bien fait! le coupa madame Boileau.
â Voyons, mère⦠gronda Emmélie, surprise de voir madame Boileau prendre pareil parti.
â Ma fille, répliqua cette dernière, apprends que dans ma jeunesse, câest ainsi que les choses se réglaient. Je pourrais vous raconter des histoires édifiantes⦠Alors que jâétais jeune fille, aux Trois-Rivières, un capitaine, allemand également, sâétait épris de moi et ne permettait à personne de mâapprocher. Alors, le docteur de Sales Laterrière et un autre ami, son nom mâéchappe, nâhésitèrent pas à passer le rustre par la fenêtre.
à ce souvenir, madame Boileau émit un rire de couventine.
â Heureusement, ajouta-t-elle en minaudant, il y avait suffisamment de neige pour recevoir lâAllemand. Ma foi, si je me rappelle bien, le pauvre avait trop bu.
â Vous ne mâaviez jamais raconté cela, lui reprocha son époux.
â Mon bon ami, câétait bien avant le temps de nos amours⦠Seriez-vous jaloux? gloussa la dame.
En guise de réponse, son mari afficha une moue de dépit qui fit sourire tout le monde.
â Il est vrai que de nos jours, les incidents de ce genre sont devenus rares, intervint René. Mais je vous en prie, Salaberry, poursuivez.
â Mais oui, approuva madame Boileau. Visiblement, vous vous en
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