Julie et Salaberry
dâun père qui lâa toujours tenu loin de lui. Certains de ses frères aînés le protègent, mais les autres sâemploient à lui nuire.
Prévost haussa les épaules. Il nâavait guère dâaffec-tion pour le duc de Kent, le protecteur de Salaberry, des Juchereau-Duchesnay et autres Canadiens de la noblesse.
â Ainsi, conclut le gouverneur, vous comprenez que Salaberry attendra. Par contre, sâil accepte de commander les futurs voltigeurs, il aura droit au grade de lieutenant-colonel de milice!
â Vous nâêtes pas sérieux! Mais ce sera une insulte pour un officier de cette valeur!
Rottenburg était atterré. Lieutenant-colonel de milice était un grade élevé⦠dans la milice, mais en aucun temps, il nâéquivalait à celui de la hiérarchie militaire de lâarmée.
â Pourquoi se plaindrait-il? sâobjecta Prévost. Avec un corps de voltigeurs, il exercera les fonctions de commandant. Nâest-ce pas ce quâil souhaite?
â Mais il pourrait se retrouver dans une situation où un de ses officiers posséderait un grade plus élevé. Par exemple, un major avec plus dâancienneté que lui.
â Sâil ne veut pas dâun régiment, il nâa quâà rester avec vous, Rottenburg. Et maintenant, vous pouvez disposer.
En tirant la porte derrière lui, Francis de Rottenburg se demanda si la lueur de joie quâil avait cru voir dans lâÅil de son supérieur était bien réelle. Que craignait donc Prévost?
â Tout va pour le mieux, major? demanda Antoine en aidant son maître à retirer ses bottes.
Un sourire indéfinissable ornait le visage de Salaberry qui savourait sa victoire. Comme il avait bien fait de ne pas réagir aux railleries de Prévost destinées à le faire sortir de ses gonds.
Le domestique entreprit de nettoyer les bottes de lâofficier. Il cracha sur le cuir avant de frotter dâun bras vigoureux, la meilleure méthode pour faire reluire, pendant que son maître poursuivait.
â Après tant dâannées, jâai enfin lâimpression dâatteindre mon but!
Antoine, qui avait fini dâastiquer les bottes, sâemploya à préparer le repas: une tourte à la viande achetée au marché, servie avec un morceau de fromage et du vin. Salaberry sortit son couteau et sâinstalla devant son assiette. Il se restaura, tout en se confiant à Antoine qui le servait.
â Tu vois ça dâici? Un régiment uniquement composé de nos compatriotes. Mon régiment: les Voltigeurs canadiens!
â Les Voltigeurs canadiens! Un beau nom, major, si je peux me permettre. Câest monsieur votre père qui sera heureux de lâapprendre.
â Un nom qui résonne dans la poitrine, un nom qui suscite la fierté! Jâespère recruter dâabord trois cents hommes, câest-à -dire six compagnies de cinquante. Et si tout va bien, jâajouterai deux compagnies de plus.
Et tout irait bien. Ses soldats sâillustreraient, à tel point que son régiment pourrait être intégré à lâarmée régulière britannique, en service sur le territoire canadien. Ce qui permettrait dâassurer ainsi son avenir et celui de ses officiers qui nâauraient pas à subir le sort quâon avait réservé au Royal Canadian Volunteers, le régiment colonial dans lequel avait servi son père Louis de Salaberry et quâon avait démobilisé. Plus tard, en prenant sa retraite, Salaberry pourrait même revendre la commission rattachée à son régiment moyennant une bonne somme dâargent.
De sa fenêtre, il pouvait voir la rive du Saint-Laurent et, par beau temps, il apercevait à lâhorizon la montagne de BelÅil. Il savait quâà quelques lieues de là se trouvait Chambly, le manoir des Rouville et la noble demoiselle Julie.
Les sages paroles de Rottenburg lui revinrent. Le mariage! Salaberry hésitait encore à se lancer dans cette aventure. Monsieur de Rouville lui avait proposé dâavancer de lâargent pour son régiment. Toutefois, la condition rattachée à cette offre était sans aucun doute un mariage avec sa fille. Salaberry avait été séduit par Julie, mais ne se croyait pas encore amoureux. Il allait y réfléchir. En attendant, un travail urgent
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