Julie et Salaberry
lâattendait.
â Antoine! Mon écritoire! ordonna-t-il.
Le domestique débarrassa lâunique table de leur logement des reliefs du repas avant dây déposer lâobjet désiré.
Du plat de la main, Salaberry lissa le bois patiné de la mallette devant lui: son écritoire, fidèle compagne de ses années dâerrance. Il actionna la ferrure et lâouvrit. Sur le tapis vert de la surface destinée à écrire aisément â et qui avait grandement besoin dâêtre remplacé tant il était usé â, il avait couché là ses angoisses dans des lettres à son père, des encouragements à ses frères, de tendres propos à sa mère et à ses sÅurs ainsi que des mots dâamour à une bien-aimée. Il choisit une feuille de papier quâil retira dâun compartiment dissimulé sous la première moitié de lâécritoire. Un tiroir sâouvrant sur le côté contenait son sceau personnel, un canif, une règle, une agate et un grattoir, tout ce quâil fallait pour écrire.
Il rassembla ses idées. Puis, dâun seul jet, quoique avec quelques ratures, il décrivit dans les moindres détails son futur régiment. Câétait facile pour lui de jeter sur le papier ce quâil avait en tête: en avait-il rêvé, de ce corps dâarmée! Il examina une dernière fois le tout, ajouta un détail ici et là avant de se déclarer satisfait.
Après avoir fait ce travail, son avenir lui apparut avec plus de netteté: un régiment et un mariage. Il rangea le document dans le tiroir de lâécritoire et en retira un nouveau feuillet.
Il était temps pour lui dâécrire à Julie.
14 . Règles pour lâexercice des carabiniers et de lâinfanterie légère.
15 . Maintenant, vous pouvez vous retirer.
Chapitre 9
Des amours naissantes
Au manoir de Rouville, Joseph frappa discrètement à la porte de la chambre de sa pâtite mamâzelle, avec, à la main, un plateau sur lequel se trouvait un pli portant un cachet de Montréal. La jeune fille tressaillit, croyant reconnaître lâécriture fortement penchée quâelle avait lue dans le registre de lâauberge. Câétait bien une lettre de Charles! Après son départ de Chambly, elle sâétait mise à attendre les lettres de son cousin qui nâarrivaient pas. Un mois plus tard, elle nây croyait plus. Elle contempla longuement le rectangle de papier plié avant de faire sauter le sceau de cire.
Montréal, 1 er mars 1812
Très chère Julie,
Vous vous rappelez votre cousin Charles, nâest-ce pas? Vous nâavez pas encore oublié mon prénom? Je me plais à penser que vous songez parfois à ce lointain cousin qui vous a rendu visite en janvier. Moi, Julie, je pense souvent à vous. Depuis mon retour de Chambly, mon service mâa laissé peu de loisirs, dâoù mon retard à vous écrire. Une mauvaise excuse. Vous me pardonnerez? Mais aujourdâhui, jâai été convoqué chez le gouverneur Prévost. Je lui ai proposé de former un corps de voltigeurs, et lâidée a été acceptée. Mon propre régiment! Si vous saviez tout ce que cela représente pour moi. Il me faudra attendre avant de mettre mon projet à exécution, mais câest dâabord avec vous que je tenais à partager cette joie. à votre tour, vous pouvez annoncer cette nouvelle à votre père. Je suis persuadé quâelle lâintéressera.
Pour le reste, depuis que jâai goûté au bon air de la campagne de Chambly, ce bel endroit où je me suis découvert de nouveaux amis, je trouve la vie de caserne tout comme ma modeste chambre triste et grise. Je pense à ma charmante cousine qui est là -bas. Ãcrivez-moi, chère Julie. Vos lettres seront comme autant de rayons de soleil. Racontez-moi tous ces petits riens qui agitent votre charmant village. Vos historiettes sauront distraire celui à qui vous manquez. Je vous laisse déjà , car je dois aussi écrire à mon père qui, comme toujours, sâimpatiente sûrement de ne pas avoir reçu de mes nouvelles.
Jâespère une lettre de votre belle main et demeure votre serviteur le plus fidèle,
Charles de Salaberry
Ãmue, Julie replia avec précaution la lettre de Charles, chavirée par
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