Julie et Salaberry
calme et souriant de Julie lui apparut en esprit. Il fit un effort pour se concentrer.
â Je sais tout ça, aboya Prévost.
â Mais pourquoi choisir cet endroit? demanda Rottenburg.
â Expliquez-lui, Salaberry, ordonna Prévost. Après tout, câest vous lâhabitant du pays.
Salaberry se raidit. Le gouverneur traitait de paysan le noble descendant dâune lignée dâofficiers. Cette fois, Rottenburg crut que le cher «marquis de la poudre à canon» allait exploser. Il saisit discrètement le poignet de son aide de camp dans un serrement qui signifiait: «calme-toi», tout en cherchant à comprendre pourquoi Prévost persistait à tenir une allumette enflammée sous un tel baril de poudre. Salaberry suivit ce conseil silencieux et, imperturbable, entreprit de démontrer à ses supérieurs quâil avait bien étudié les lieux lors de son passage dans la région.
â En 1711, lorsque les Français reconstruisirent le vieux fort de Chambly, à lâorigine un simple ouvrage en pieux, pour lui donner la solide maçonnerie qui persiste encore de nos jours, ils ordonnèrent la mise en place dâune banlieue. Le fort étant situé au pied dâimportants rapides qui for-cent le portage entre Saint-Jean et Chambly, la banlieue permettait donc de voir venir lâennemi au loin. Après quelques réparations dâusage, le fort nous sera très utile pour entreposer armes et marchandises, sinon pour loger des soldats.
â Une armée en provenance du lac Champlain et transportant de lâartillerie lourde empruntera obligatoirement la route de la rivière Chambly, ajouta Prévost, car il y a peu de chemins praticables qui mènent à Montréal. Chambly est au confluent de trois routes dâimportance. Voyez, Rottenburg, fit le gouverneur en pointant sur la carte Saint-Jean, La Prairie, puis Chambly. Câest pourquoi jâenvisage dâutiliser la banlieue du fort et dây faire construire un nombre suffisant de bâtiments: baraques, logements dâofficier, écuries et même un hôpital, afin dây installer un quartier général.
George Prévost réintégra son fauteuil.
â Votre idée, Salaberry⦠dâun corps de volontaires, entraînés sous vos ordres. Mettez tout cela sur papier et laissez-moi y réfléchir. You may retire, now 15 .
Sur ces dernières paroles, Prévost parut sâintéresser à ce qui se passait dehors. On voyait tomber une désagréable neige mouillée, faite de gros flocons qui fondaient en touchant le sol.
Ignorant lâattitude offensante, Salaberry fit le salut militaire.
â Major, je vous félicite, dit alors Rottenburg, même si désormais la préparation de votre régiment prendra tout votre temps. Surtout si vous songez en même temps au mariage avec une demoiselle de votre connaissance, aimable et bien pourvue. Croyez-vous que nous pourrons disputer une partie dâéchecs avant la guerre?
Un fin sourire accompagnait ces paroles.
â Je lâespère de tout cÅur, général. Ce plaisir me manque.
â Je nâen doute pas, plaisanta Rottenburg. Il y a un certain contentement à battre son supérieur aux échecs, ajouta-t-il en désignant du coin de lâÅil Prévost qui ne pouvait le voir.
â Une grande satisfaction, admit Salaberry à la blague. Gouverneur, mon général, je suis à vos ordres, salua-t-il finalement en claquant des talons.
â Quelle nouvelle concernant le grade de lieutenant-colonel pour Salaberry? demanda Rottenburg à Prévost, une fois que son jeune protégé fut parti.
â Aucune, répondit abruptement Prévost en fuyant son regard.
â Comment cela est-il possible? sâécria Rottenburg. Lorsque jâétais à Londres, le duc de Kent mâavait pourtant affirmé que...
â Vous nâêtes pas sans savoir que câest le duc dâYork, son frère, qui commande lâarmée. Et tout ce que fait Kent est aussitôt défait par York.
Le roi dâAngleterre George III souffrait dâune cruelle maladie mentale et le jour nâétait pas loin où son fils aîné, le duc dâYork, serait appelé à exercer la régence.
â Qui peut lâignorer? remarqua Rottenburg avec compassion. Le duc de Kent est le fils mal aimé
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