Julie et Salaberry
reconnut volontiers Rottenburg. Ce jour approche et il faut nous y préparer avant quâil ne soit trop tard. Agir et ne pas attendre les instructions de Londres, qui prendront des mois à venir.
â Ce qui explique, messieurs, la raison pour laquelle je vous ai convoqués ce matin. Je veux éviter les erreurs dâautrefois, affirma Prévost.
â Ce qui veut dire? interrogea Rottenburg.
â Que nous devons par tous les moyens gagner la confiance des Canadiens afin de les enrôler. Les troupes régulières sont en nombre insuffisant pour contrer une attaque et tant que Londres nâaura pas une déclaration de guerre dans les formes, la situation ne changera pas. Comme vous le disiez si bien, Rottenburg, avant que des renforts arrivent, il faudra des mois.
â Je suis persuadé que mes compatriotes voudront défendre leur pays, affirma Salaberry.
Prévost le gratifia dâun rictus de profond dédain.
â Permettez-moi dâen douter. Lors de lâinvasion de 1775, lâarmée des colonies rebelles a traversé nos frontières et il sâen est fallu de peu que le peuple canadien se laisse séduire par les artifices républicains, rappela le gouverneur dâun ton amer.
Ces derniers mots furent dits avec des yeux braqués sur Salaberry, un peu comme si ce dernier avait été responsable de cette situation alors quâil nâétait pas né. Câétait bien le genre de Prévost que de chercher une occasion de lâhumilier. Il sâamusait à éprouver ses nerfs, connaissant son caractère impétueux et sachant bien quâil nâétait pas en position de répliquer.
Voyant le visage de Salaberry commencer à sâenflammer, Rottenburg chuchota:
â Retenez votre souffle, mon cher Gun Powder.Â
Heureusement, Salaberry nâavait pas lâintention de se laisser entraîner sur le sentier de la guerre et il se contenta de rétorquer poliment:
â Depuis la première guerre contre les Yankees, les Canadiens ont appris à apprécier les valeurs de la civilisation britannique. Jâai lâintime conviction quâils sont prêts à se battre.
Il articulait lentement, énonçant son idée en appuyant sur chacun des mots, comme autant de coups de massue sur la tête de Prévost qui venait de lâinsulter.
â Pour nous, Canadiens, le Canada est beaucoup plus quâune colonie. Câest notre pays, la terre de nos ancêtres. Nous y sommes nés, nous y mourrons aussi, tout comme nos enfants et nos petits-enfants le feront à leur tour.
â Cet acte de foi ne peut pas suffire, répliqua Prévost. Comment croire au patriotisme dâune populace indolente? Qui ne peut respirer sans lâautorisation de ses prêtres! Dâailleurs, voilà ce quâil faut faire. Sâallier le clergé qui, lui, saura guider ce peuple dâindisciplinés.
â Croyez-vous que les prêtres mèneront leurs ouailles à la guerre? demanda Rottenburg à Salaberry.
â Je ne saurais dire, répondit lâofficier en se rappelant la réflexion du curé Bédard, à Chambly. Par contre, les religieux craignent les républicains par-dessus tout, et ces satanés Yankees le sont. Le souvenir de la Révolution française qui a envoyé des centaines de prêtres à la guillotine est encore vif et cela suffira à les mettre de notre côté. Toutefois, si je peux me permettre dâajouter ceci, Sir, je vous assure quâavec ou sans leurs curés, les Canadiens se battront. Les Américains se sont moqués dâeux, au cours de la dernière guerre, ne laissant après leur passage quâun amas de ruines et de dettes. Croyez-moi, mes compatriotes ne manqueront pas de courage face à lâennemi et se lèveront pour défendre leur patrie.
Attentif aux propos de Salaberry, Rottenburg était fier de son aide de camp. Lâimpétueux officier avait retrouvé son sang-froid, ignorant les insultes et les airs de supériorité de Prévost.
â Mais il faut plus que du courage pour gagner une guerre, il faut des soldats bien entraînés et, surtout, disciplinés, riposta Prévost.
â Il est vrai que les milices locales ne suffiront pas à soutenir lâarmée, ajouta Rottenburg. Et que Londres devra faire appel à des régiments de mercenaires. Sinon,
Weitere Kostenlose Bücher