Julie et Salaberry
être explicites, ses lettres étaient empreintes dâune délicate affection. Il évoquait ses yeux de velours et son désir de les revoir, se rappelait la douceur de sa main si semblable à celle de la soie et affirmait dans chacune à quel point il regrettait de ne pouvoir reprendre le chemin de Chambly ne fût-ce que pour entendre le son de votre voix. En lisant ces mots, elle frémissait. René avait été relégué dans un coin obscur de son cÅur.
Elle nâavait plus revu Emmélie ni aucun membre de la famille Boileau depuis cette visite chez Marguerite qui avait si mal tourné à cause de lâindiscrétion des demoi-selles. Même si elle sâétait finalement avoué quâelle avait été sévère avec Emmélie, Julie recommençait à lui reprocher sa brutale intervention. Elle avait également espacé ses visites à Marguerite, mais comme elle ne pouvait se passer trop longtemps de lâatmosphère chaleureuse qui régnait chez les Talham, elle sâassurait auparavant de ne pas sây retrouver face à face avec son ancienne amie. Mais si les événements donnaient raison à cette dernière, ne devrait-elle pas faire amende honorable? Ãpouser Charles⦠Câétait la première fois que Julie évoquait cette éventualité.
â Tu es bien certain de ne pouvoir rester un peu plus longtemps? demanda madame de Beaumont à lâhomme qui sâétirait avec délices dans son lit.
Louise de Beaumont, que ses intimes surnommaient Lisette, était une veuve sans enfants, ce qui expliquait sans doute pourquoi elle avait su préserver sa sveltesse, de même que son indépendance financière. Dâun mari mort trop tôt et quâelle avait aimé passionnément, elle avait tout appris sur un monde sans pitié et interdit aux femmes: celui de la fourrure. Son époux lui avait laissé une affaire prospère et madame de Beaumont avait compris que son statut de veuve était la seule condition acceptable pour une femme qui tenait à préserver sa liberté. Malgré lâinsistance des prêtres, elle avait fermement refusé de se remarier et les hommes dâÃglise sâétaient finalement lassés de chercher un bon mari à cette entêtée qui gérait elle-même sa fortune et déployait son intelligence pour demeurer à lâabri du besoin sans le concours dâun homme.
Mais elle avait aussi un tempérament ardent et ne voulait pas se priver des joies de lâamour pour autant. Elle se choisissait des amants parmi les hommes de la bonne société, appréciant les esprits raffinés et indépendants. Femme apparemment sans protection, elle possédait pourtant un moyen infaillible pour éviter les incidents malheureux. Un domestique dévoué, tiré autrefois de lâesclavage par ses soins, à la fois majordome et gardien, la garantissait des ennuis. Si, dâaventure, un homme sâétait risqué à vouloir la violenter, il aurait pu se retrouver au fond du Saint-Laurent. Et pour ce qui était des ennuis dâun autre genre, elle connaissait ce quâil fallait faire et les messieurs admis dans son intimité devaient se plier à ses exigences.
Lorsquâelle accordait ses faveurs, madame de Beaumont mettait aussi dâautres conditions: elle ne tolérait aucune arrivée à lâimproviste, ni quâon exige dâelle une quelconque exclusivité. En retour, elle était dâune discrétion absolue.
â Tu espaces tes visites, ce qui me navre infiniment, mon cher et beau ténébreux, fit-elle en enfouissant ses doigts effilés dans la chevelure brune de René Boileau, avant de lui donner un baiser.
â Mon travail me prend tout mon temps, Lisette aux yeux dâor, répondit le notaire de Chambly, en caressant à son tour les cheveux ondulés de la belle dame.
Madame de Beaumont avait franchi récemment le seuil de la quarantaine, mais René se souciait peu des années qui les séparaient, car, à la fréquenter, il jouissait de plaisirs quâaucune demoiselle de la bonne société ne pouvait même imaginer. Ses rencontres avec Lisette lui procuraient toutes les satisfactions possibles: une amante expérimentée et une épaule accueillante où il faisait bon se réfugier à lâoccasion.
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