Kenilworth
intention, dit Leicester avec impatience ; quelle que soit la réserve que tu mettes ce soir dans toutes tes paroles, tu veux me faire entendre que je pourrais épouser la reine si je le voulais.
– C’est vous qui le dites, milord, et non pas moi ; peu importe, c’est ce que croient, en Angleterre, quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent.
– Oui, dit Leicester en se retournant dans son lit, mais la centième est mieux instruite. Toi, par exemple, tu connais des obstacles qui ne peuvent être surmontés.
– Et qui doivent pourtant l’être, milord, s’il faut en croire les étoiles, dit Varney avec un air composé.
– Que dis-tu là ? répondit Leicester, toi qui ne crois ni à l’astrologie ni à rien.
– Vous vous trompez, milord, sauf le respect que je vous dois ; je crois à certains présages de l’avenir. Je crois, par exemple, que, s’il pleut en avril, il y aura des fleurs au mois de mai ; que, si le soleil brille, les grains mûriront ; et, dans ma philosophie naturelle, je crois à beaucoup de choses qui me feraient ajouter foi aux étoiles si les étoiles les présidaient ; c’est ainsi que je ne refuserai pas de croire ce que je vois universellement attendu et désiré sur la terre, uniquement parce que les astrologues prétendent l’avoir lu dans le ciel.
– Tu as raison, dit Leicester en s’agitant dans son lit, on désire universellement ce mariage. J’ai reçu des avis des églises réformées d’Allemagne, des Pays-Bas, de la Suisse, qui croient que de cet événement dépend le salut de l’Europe. La France ne s’y opposerait pas ; le parti dominant en Écosse le regarderait comme une garantie ; l’Espagne le redoute, mais elle ne peut s’y opposer ; cependant tu sais que cela est impossible.
– C’est ce que je ne sais pas, milord ; la comtesse est indisposée.
– Misérable ! dit Leicester en se levant sur son séant et en saisissant son épée sur la table : abandonne ces infâmes pensées ! Ne voudrais-tu pas l’assassiner ?
– Pour qui me prenez-vous, milord ? dit Varney affectant toute la dignité de l’innocence calomniée ; il ne m’est rien échappé qui puisse donner lieu à cette horrible imputation. J’ai seulement dit que la comtesse était malade ; et la comtesse, tout aimable, toute chérie qu’elle est, n’en est pas moins sujette à la loi commune ; elle peut mourir, et Votre Seigneurie redevenir libre.
– Loin de moi cette affreuse pensée, dit Leicester ; qu’il n’en soit plus question.
– Bonne nuit, milord, dit Varney, feignant de prendre ces dernières paroles pour un ordre de s’en aller ; mais la voix de Leicester l’arrêta.
– Tu ne m’échapperas pas ainsi, maître fou ! Je crois que ton nouveau rang t’a fait tourner la tête. Avoue-le, tu viens de parler de choses impossibles, comme si elles pouvaient arriver.
– Milord, que Dieu donne longue vie à votre belle comtesse, quoique ni votre amour ni mes vœux ne puissent la rendre immortelle ; mais quand même le ciel la conserverait long-temps pour son bonheur et pour le vôtre, je ne crois pas que ces nœuds doivent vous empêcher de devenir roi d’Angleterre.
– Pour le coup, mon pauvre Varney, tu es fou décidément.
– Ah ! que je voudrais être aussi sûr de posséder quelque jour une belle et bonne terre seigneuriale ! Ne savez-vous pas comment, dans d’autres pays, un mariage de la main gauche peut subsister entre des personnes de conditions différentes, sans que, pour cela, le mari soit obligé de renoncer à une alliance plus convenable ?
– Oui, j’ai entendu dire que cet usage existait en Allemagne.
– Il y a plus ; on prétend même que les docteurs des universités étrangères l’appuient sur plusieurs textes de l’Ancien Testament. Après tout, quel grand mal y a-t-il ? L’aimable compagne que vous avez choisie par amour a tous vos momens secrets de repos et d’épanchement ; sa réputation n’en souffre pas, sa conscience est tranquille. Vous vous procurez par là les moyens de pourvoir à tout, s’il plaît au ciel de vous envoyer quelque rejeton ; et vous pouvez encore réserver à Élisabeth dix fois autant de loisir et dix fois autant d’amour que jamais don Philippe d’Espagne n’en accorda à sa sœur Marie ; cependant vous savez combien elle l’aimait, malgré sa froideur et sa négligence. Il ne faut pour cela que bouche close et front ouvert. Vous êtes maître de conserver
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