Kenilworth
grosse cloche du château, qui, placée dans la tour de César, n’était pas éloignée de celle de Mervyn, donna le signal de l’arrivée de la reine, ce son fut si pénible à sa sensibilité exaltée par l’inquiétude, qu’Amy ne put s’empêcher de pousser un cri de douleur chaque fois qu’elle entendait le tintement assourdissant de l’airain.
Bientôt après, quand le petit appartement qu’elle occupait fut tout d’un coup inondé de flots de lumière par les feux d’artifice qui se croisaient dans l’air comme des esprits de flamme, ou comme des salamandres exécutant une danse bizarre dans les régions des sylphes, il lui sembla que chaque fusée éclatait si près de ses yeux qu’elle sentait l’impression de la chaleur.
Mais elle lutta contre ces terreurs fantastiques, et fit un effort sur elle-même pour se lever, se placer à la fenêtre, et fixer ses regards sur un spectacle qui, dans toute autre circonstance, lui eût paru à la fois curieux et imposant. Les tours magnifiques du château étaient ornées de guirlandes de feu, ou couronnées d’une pâle vapeur. La surface du lac étincelait comme le fer fondu dans la fournaise, tandis que des traits de flamme qui s’élançaient dans les airs ou retombaient dans l’eau sans s’éteindre, semblaient autant de dragons enchantés se jouant sur un lac de feu.
Amy prit même un moment intérêt à un spectacle si nouveau pour elle.
– Je croirais que tout ceci est un effet de l’art magique, pensa-t-elle, si le pauvre Tressilian ne m’avait appris à juger ces choses telles qu’elles sont… Grand Dieu, ces vaines splendeurs ne ressemblent-elles pas à mes espérances ? Mon bonheur n’est-il pas une étincelle qui sera bientôt engloutie dans une mer de ténèbres ! une clarté précaire qui ne s’élève un moment dans l’air que pour tomber de plus haut ! Ô Leicester ! après tout ce que tu m’as dit, après tout ce que tu m’as juré, se peut-il que tu sois le magicien au signe duquel toutes ces merveilles s’opèrent, et que ton Amy ne les voie que comme une captive ? ton Amy ! qui était ton amour et ta vie.
La musique continuelle qui s’élevait des diverses parties du château, plus ou moins éloignées, inspirait les mêmes pensées douloureuses au cœur de la comtesse. Quelques accords plus lointains et plus doux semblaient sympathiser avec ses peines, et d’autres plus bruyans et plus gais semblaient insulter à son infortune.
– Cette musique est à moi, disait-elle, puisqu’elle est à lui ; mais je ne puis ordonner qu’on l’interrompe. Ces airs bruyans me déplaisent, et le dernier villageois qui se mêle à la danse a plus de pouvoir pour donner des ordres aux musiciens, que moi qui suis maîtresse de tout ici.
Peu à peu le son des instrumens cessa, aucun bruit ne se fit plus entendre, et la comtesse abandonna la fenêtre, où elle était restée à écouter. Il était nuit, mais la lune éclairait tellement la chambre qu’Amy put tout disposer comme elle le voulut. Elle espérait que Leicester se rendrait auprès d’elle aussitôt que tout serait paisible dans le château ; mais elle avait aussi à craindre d’être troublée par quelque autre personne. Elle ne comptait guère sur la clef, depuis que Tressilian était entré si facilement, quoique la porte fût fermée en dedans. Pour plus de sécurité, tout ce qu’elle put faire fut de placer la table en travers, afin que le bruit l’avertît si quelqu’un essayait d’entrer. Ayant pris ces précautions nécessaires, la malheureuse Amy se jeta sur sa couche, rêvant dans une attente inquiète, et comptant tous les instans, jusqu’à une heure après minuit. La nature épuisée l’emporta enfin sur l’amour, la douleur et l’inquiétude, et Amy s’endormit ; oui, elle dormit. – L’Indien dort dans les intervalles de ses tortures ; les peines du cœur épuisent de même, à la longue, la sensibilité, et leurs cruelles atteintes ne se renouvellent qu’après un repos léthargique.
La comtesse dormit pendant plusieurs heures ; elle rêva qu’elle se trouvait dans l’antique demeure de Cumnor-Place ; elle prêtait l’oreille, en croyant entendre le coup de sifflet par lequel Leicester annonçait sa présence dans la cour lorsqu’il venait la surprendre par une de ses visites clandestines. Mais cette fois c’était le son d’un cor qu’elle entendait ; elle reconnut l’air particulier que sonnait son père à la
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