Kenilworth
en même temps et votre Éléonore et votre belle Rosemonde ; je me charge de vous trouver une retraite où l’œil jaloux d’une reine ne pourra jamais pénétrer.
Leicester garda quelque temps le silence, puis il dit en soupirant : – C’est impossible. Adieu, sir Richard Varney. – Non, demeurez encore. Soupçonnez-vous quelle était l’intention de Tressilian en paraissant aux yeux de la reine dans un costume si négligé ? Voulait-il intéresser son cœur par la compassion qu’inspire toujours un amant abandonné par sa maîtresse, et qui perd sa raison pour elle ?
Varney, étouffant avec affectation un rire moqueur, répondit qu’il ne croyait pas que Tressilian eût pareille chose en tête.
– Comment ! dit Leicester, qu’entends-tu par là ? il y a toujours quelque malice dans ta manière de rire, Varney.
– J’entends seulement, milord, que Tressilian a pris le plus sûr moyen pour ne pas mourir de douleur ; il a une compagne, une femme, une maîtresse, la femme ou la sœur d’une espèce de comédien, à ce que je crois, qui cohabite avec lui dans la tour de Mervyn, où je l’ai logé pour certains motifs particuliers.
– Une maîtresse ! une maîtresse, dis-tu ?
– Oui, milord ; qui diable passerait des heures entières dans la chambre d’un homme, si ce n’était sa maîtresse ?
– Sur ma foi, c’est un excellent conte à répéter en temps et lieu, dit Leicester. Je ne me suis jamais fié à ces savans à mine hypocrite. C’est fort bien ! M. Tressilian use de ma maison sans cérémonie : si je laisse passer cela, il doit en remercier certain souvenir : cependant, Varney, ayez l’œil sur lui.
– C’est pour cela même que je l’ai logé dans la tour de Mervyn, où il est sous l’inspection de mon très vigilant serviteur, qui malheureusement est aussi un franc ivrogne. C’est Michel Lambourne, que je veux dire, et dont j’ai déjà parlé à Votre Grâce.
– Votre Grâce ! que signifie cette épithète {125} ?
– Elle me vient à la bouche sans que j’y aie songé, milord ; et cependant elle me paraît si naturelle que je ne puis pas la révoquer.
– En vérité, c’est ta nouvelle dignité qui t’a dérangé la cervelle, dit Leicester en souriant : les honneurs portent à la tête comme le vin.
– Puisse Votre Seigneurie en parler bientôt par expérience ! dit Varney ; et il se retira en souhaitant une bonne nuit à son maître.
CHAPITRE XXXIII.
« La trahison est prête à frapper sa victime.
« Telle aux pieds du chasseur que la poursuite anime
« On voit la biche en pleurs tomber en haletant,
« Quand, pour ouvrir son sein de terreur palpitant,
« Il offre un fer cruel à quelque noble dame,
« Dont il achète ainsi le retour de sa flamme. »
Le Bûcheron.
Il faut que nous retournions dans la tour de Mervyn, ou pour mieux dire dans la prison de la malheureuse comtesse de Leicester, qui pendant quelque temps parvint à contenir son inquiétude et son impatience. Elle prévoyait bien que, dans le tumulte d’un pareil jour, il était possible que sa lettre ne fût pas remise immédiatement à Leicester, et qu’il ne pût pas s’arracher encore à son service auprès d’Élisabeth pour venir la visiter dans son asile secret. – Je ne dois l’attendre que ce soir, pensait-elle ; il ne pourra quitter la reine, même pour se rendre auprès de moi. Je sais qu’il fera tout au monde pour venir plus tôt, mais je ne dois pas l’attendre avant la nuit.
Cependant elle ne passa pas un moment sans l’attendre, et tout en cherchant à se persuader le contraire, chaque bruit qu’elle entendait lui semblait l’approche empressée de Leicester, qui accourait pour la presser dans ses bras.
La fatigue qu’Amy avait essuyée depuis peu et l’agitation naturelle que cause une incertitude si cruelle commençaient à affecter ses nerfs ; elle craignait d’être hors d’état de supporter les évènemens qui se préparaient. Mais, quoique élevée comme un enfant gâté, Amy avait naturellement une âme courageuse et un tempérament fortifié par l’exercice qu’elle prenait en accompagnant souvent son père à la chasse. Elle appela à son secours toute son énergie ; sentant combien sa destinée future dépendait de sa résolution, elle pria mentalement le ciel de la soutenir, et prit en même temps la ferme décision de ne céder à aucune, émotion capable de l’ébranler.
Cependant lorsque la
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