Kenilworth
dormaient immobiles sur l’onde azurée et sur les massifs lointains d’ormeaux et de chênes. L’astre des nuits au plus haut des cieux était entouré de mille satellites subalternes. Un calme profond régnait sur la terre, et n’était interrompu quelquefois que par la voix des gardes de nuit (c’étaient les yeomen de la garde qui faisaient ce service de nuit partout où se trouvait la reine) et les aboiemens lointains des limiers que réveillaient les préparatifs d’une chasse magnifique annoncée pour le lendemain.
Leicester contempla la voûte azurée du firmament. Ses gestes et son maintien exprimaient une vive émotion mêlée de joie et d’inquiétude, pendant que Varney, qui était resté dans l’ombre de l’appartement, pouvait, sans être remarqué, voir avec une satisfaction secrète son patron étendre les bras vers les corps célestes.
– Ô vous, globes d’une flamme vivante (telle fut l’invocation que murmura le comte ambitieux), vous parcourez en silence le cercle de votre carrière mystérieuse ! mais la sagesse vous a donné une voix ; dites-moi donc quelle haute destinée m’est réservée. La grandeur à laquelle j’aspire sera-t-elle brillante, sublime et durable comme la vôtre, ou suis-je condamné à ne jeter qu’un éclat éphémère au milieu des ténèbres de la nuit, pour retomber ensuite vers la terre, semblable aux débris de ces feux d’artifice avec lesquels les hommes voudraient égaler vos rayons ?
Il regarda encore le ciel pendant une minute ou deux, puis il rentra dans l’appartement, où Varney feignait de s’être occupé à renfermer les bijoux du comte dans sa cassette.
– Que pense Alasco de mon horoscope ? demanda Leicester. Tu me l’as déjà dit, mais cela m’est échappé, car je ne crois pas sérieusement à son art.
– Plusieurs hommes de science et plus d’un grand homme en ont pensé bien autrement, répondit Varney ; et, pour parler avec franchise à Votre Seigneurie, je suis assez de leur avis.
– Ah ! ah ! comme Saül au milieu des prophètes !… Je te croyais d’un scepticisme absolu sur tout ce que tu ne pouvais ni voir, ni entendre, ni toucher, ni sentir, ni goûter ;… en un mot, que ta croyance était bornée par tes sens.
– Peut-être que c’est le désir de voir la prédiction de l’astrologue s’accomplir qui me rend plus crédule aujourd’hui. Alasco dit que votre planète favorable est dans son point culminant, et que l’influence contraire (il n’a pas voulu parler avec plus de clarté), quoique non encore terrassée, est évidemment rétrograde : c’est, je crois, le terme dont il s’est servi.
– Oui, c’est cela, dit Leicester en regardant un extrait de calculs astrologiques qu’il tenait à la main ; l’influence la plus forte prévaudra, et, d’après ce que je crois, l’heure fatale est passée. Aidez-moi, sir Richard, à quitter ma robe de chambre, et restez un instant, si cela n’est pas trop pénible pour un chevalier, pendant que je me mets au lit. Je crois que la fatigue de cette journée m’a mis la fièvre dans le sang, car je sens qu’il circule dans mes veines aussi brûlant que le plomb fondu. – Attends un instant, je t’en prie ; je voudrais bien sentir mes yeux s’appesantir.
Varney aida officieusement son maître à se mettre au lit, et plaça une lampe d’argent massif avec une épée sur une table de marbre près du chevet. Alors, soit pour n’être pas fatigué par la lueur de la lampe, soit pour cacher sa figure à Varney, Leicester tira son rideau. Varney s’assit près du lit, le dos tourné vers son maître, comme pour lui faire entendre qu’il n’avait pas dessein d’épier ses mouvemens, et il attendit tranquillement que Leicester commençât à parler sur le sujet qui occupait exclusivement toutes ses idées.
– Ainsi donc, Varney, dit le comte après avoir attendu vainement que son écuyer entamât la conversation, on parle des bontés que la reine a pour moi.
– Mais, milord, dit Varney, comment pourrait-on n’en rien dire quand ses bontés sont si manifestes ?
– En vérité, c’est une bonne maîtresse, dit Leicester après un moment de silence ; mais il est écrit : Ne vous fiez pas aux princes.
– La sentence est bonne et vraie, reprit Varney, à moins toutefois qu’on ne sache lier leurs intérêts aux nôtres si étroitement qu’on les tienne sur le poing comme le faucon qui va partir.
– Je devine ton
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