Khadija
réponses à tes questions. Patience et humilité, voilà ce qu'il te faut accepter maintenant, cousine. Et ces autels qui ne servent à rien, tu peux sans crainte les faire disparaître de ta cour. Tes filles resteront en vie.
La douleur d'Al Qasim
Les conseils de Waraqà, Khadija les suivit en partie. Elle n'osa pas répudier de sa cour les autels d'Hobal et d'Al'lat : les servantes y venaient prier et brûler des offrandes tous les jours. Pourquoi les punir de ce que leur maîtresse ne sentait plus la paume des dieux sur elle ? Elle fit cependant de son mieux pour être patiente et pratiquer cette humilité que vantait le hanif.
— Waraqà a raison, c'en est fini de ma vie, dit-elle un jour à Muhavija. J'ai la toison grise et je ne réparerai plus les fautes que j'ai commises. Je dois cesser de croire que les habitants de Mekka craignent le pouvoir de la saïda bint Khowaylid. S'il en est un qu'ils craindront et admireront, ce sera Muhammad, mon époux.
— N'était-ce pas ton souhait quand tu l'as conduit dans ta couche ? Qu'il devienne un puissant dans Mekka ? Et c'est ce qu'il est devenu aux yeux de tous. Tu as accompli ce que tu voulais. N'en éprouves-tu pas une grande fierté ?
Khadija acquiesça, conciliante. Comme le hanif, Muhavija, tout en se montrant réconfortante et affectueuse, n'était pas loin de lui reprocher son orgueil.
Néanmoins, la vérité demeurait la vérité : Al Qasim était mort. Muhammad n'avait plus de fils et n'en aurait plus de son épouse. Comment pouvait-elle ne pas songer, chaque aube où elle se réveillait, qu'elle n'avait pas donné à son époux tout ce qu'il méritait ?
— Il ne me reste qu'à être sage et patiente, opina-t-elle. Peut-être Waraqà a-t-il raison. Peut-être Muhammad reviendra-t-il du pays de Sham avec les réponses à mes questions.
Muhavija comprenait la grande peine de Khadija. Elle dit :
— Ton travail n'est pas terminé. Tu ne dois pas oublier tes filles. Ce n'est pas ton époux qui fera d'elles des femmes.
La cousine n'avait pas tort, mais Khadija ne se sentait pas proche de Zaynab et Ruqyya, ses filles aînées.
Le feu de la jeunesse brûlait en elles. Quelques lunes après la mort d'Al Qasim, elles ne prononçaient plus son nom. Elles riaient, la main devant la bouche, tournant la tête lorsqu'elles se racontaient les regards et les compliments que leur avaient adressés les hommes des grandes familles de Mekka. Elles embellissaient de saison en saison. Elles se confiaient aux servantes plus qu'à leur mère. La cour de Khadija était bien trop triste pour ce goût de plaire et elles attendaient le retour de leur père. Chaque soir, avant de s'endormir, elles se répétaient en chuchotant ce qu'elles lui demanderaient dès qu'il franchirait la porte.
Omm Kulthum, trop jeune encore pour entrer dans leurs confidences, les admirait comme des déesses. Fatima, elle, n'avait que six ans. Elle observait ses sœurs avec reproche. Elle, elle n'oubliait pas son frère, le premier fils de son père. La tristesse de sa mère, elle la devinait aussi profonde que le jour où la pointe de fer avait traversé la poitrine d'Al Qasim.
Des filles de Khadija, Fatima était la seule à passer un peu de temps auprès d'Ashemou, à se soucier d'elle alors que les servantes la craignaient et l'évitaient, ne supportant plus son silence et sa maigreur.
Un jour, sortant de la chambre qu'Ashemou ne quittait plus, Fatima vint s'asseoir sous le tamaris au côté de sa mère.
— Tu crois qu'un jour Ashemou reparlera ? demanda-t-elle.
— Peut-être.
Fatima resta silencieuse un instant, goûtant la caresse de sa mère sur son front, sa nuque. Puis elle se dégagea.
— Si Al Qasim revenait, dit-elle avec beaucoup d'assurance, Ashemou parlerait et serait belle de nouveau. N'est-ce pas ? Et les servantes ne se moqueraient plus d'elle.
Khadija ouvrit la bouche. Aucun son n'en sortit. Les mots de sa fille brûlaient dans sa poitrine.
Avec l'assurance de son âge, Fatima poursuivit :
— Toi, mon père, chacun ici voudrait qu'Al Qasim soit encore là. Mes sœurs sont bêtes. Elles ne se rendent compte de rien, elles ne pensent qu'à elles.
Les yeux embués, Khadija s'inclina pour baiser la tête de sa fille. Elle murmura :
— Al Qasim ne peut pas revenir, ma chérie. Il ne faut pas l'attendre.
Fatima s'écarta brutalement. Elle pivota sur ses genoux pour faire face à sa mère, le visage durci et buté.
— Je sais qu'il ne peut pas
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