Khadija
d'hommes, il formait des marches par endroits si étroites qu'on ne pouvait rejoindre l'étrange oasis qu'au prix d'une grande prudence.
Ceux d'en bas les observaient, silencieux, sans faire un geste. Les hommes portaient la barbe, souvent longue, même si elle était clairsemée. Leurs cheveux étaient noués en chignon. Les femmes, elles, avaient les cheveux aussi libres que ceux des enfants, épars sur leurs épaules et atteignant parfois leurs reins. On apercevait quelques vieillards parmi eux, guère plus nombreux que les doigts d'une main. Tous étaient vêtus de tuniques blanches.
Parvenu le premier sur le sable, entre les dattiers dont les palmes se découpaient sur le ciel d'étoiles, Abu Nurbel s'avança. Main sur la poitrine, tête droite, face rougie par le feu, il salua ainsi qu'on le faisait à Mekka et dans tout le Hedjaz, jusqu'aux royaumes de Saba et de Ma'rib. Il annonça qui il était et qui étaient ses compagnons. Quand il se tut, nul ne lui retourna son salut. Il était évident que personne, parmi ceux qui lui faisaient face, n'avait compris une seule de ses paroles.
Zimba le guide s'avança à son tour. Après avoir incliné la nuque, il parla en hébreu. Un homme, sans distinction particulière parmi les autres, lui répondit d'un ton calme. Il y eut un bref échange.
Zimba se retourna vers Abu Nurbel.
— Ces gens parlent l'hébreu, mais pas fils de Moïse. Ni du Christ. Des fils d'El Kessaï, ils sont. Un père du père des pères de leur clan a rencontré le Grand Archange. Ils vont où va leur destin. Ils sont fidèles aux Anciens.
Zimba désigna l'homme avec qui il venait d'échanger quelques mots. Il se nommait Za Whaad el Kessaï.
— Il dit : « Nous dresser les tentes là-bas cette nuit. Ici, sable pur. Pas pour nos pieds et nos esprits. » Il dit : « Vous faites des feux, mais pas pour griller viande. Pour ceux d'El Kessaï, la viande brûle pour offrande, c'est tout. Certains jours seulement. » Il dit : « Si nous avons femmes, elles peuvent descendre. Pas chanter, pas rire, pas gémir. »
Abu Nurbel, Al Sa'ib et Muhammad écoutèrent Zimba sans étonnement. Nul n'ignorait l'infinité autant que l'étrangeté des croyances des hommes dans le désert. Celles-ci n'étaient guère plus insolites que bien d'autres. À Mekka aussi, on aimait à penser que les humains, pour se rapprocher de la mort sans craindre les démons du monde de l'après-vie, ne devaient pas aller sans règles ni sans dieux.
Le vieil Abu Nurbel s'inclina devant Za Whaad el Kessaï. Il se frappa le front et la poitrine. Dans le langage du désert, compris par chacun, ces gestes signifiaient le respect. Sans autre palabre, des femmes vêtues de blanc s'approchèrent et déposèrent quatre jarres d'eau fraîche devant les visiteurs. Za Whaad el Kessaï pointa un doigt sur la poitrine de Muhammad. Il prononça quelques mots. Zimba ouvrit la bouche pour les traduire, puis la referma. Abu Nurbel grogna :
— Que dit-il ?
Zimba eut un regard vers Muhammad. Il baissa les paupières avant de bredouiller :
— Il dit : vêtement de celui-là plein de sang. Il s'est battu. Il a tué. Pas possible demeurer ici sans se purifier.
— Et comment se purifie-t-il ? demanda Abu Nurbel, contenant sa colère.
— Donner ses vêtements pour le feu et laisser femmes le laver.
Al Sa'ib ne put contenir un ricanement. À voix basse, il grinça :
— Obéis, Ibn `Abdallâh. Qui sait, peut-être que leur dieu apaisera la colère d'Abu Sofyan quand il apprendra que tu portes une nimcha de son clan. Ou celle de ta maîtresse la saïda Khadija quand elle saura qu'Abu Sofyan a lancé une razzia sur sa caravane.
Abu Nurbel allait protester, quand Muhammad s'avança d'un pas et déclara :
— Je veux bien.
Sous le regard ébahi de ses compagnons, il ôta sa cape raidie par le sang. Il retira la nimcha de sa ceinture pour la laisser tomber sur le sable, se dépouilla de sa tunique souillée et puante, de ses bottes et de sa culotte déchirée. Sous les yeux de tous, il fut nu. Les flammes dansèrent sur sa chair.
Marmonnant des sons incompréhensibles, des femmes, munies de palmes séchées, roulèrent les vêtements souillés sans les toucher de leurs mains. L'une d'elles tendit à Muhammad un linge de lin blanc. Par signes, elle lui montra comment s'en recouvrir. Quand ce fut fait, on lui tendit une jarre d'eau pour qu'il s'en asperge. Puis encore une autre, et une autre, jusqu'à ce que le linge
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