Khadija
moi, même si j'étais aussi riche que toi ? Il aurait eu trop honte. Ses épouses doivent être comme ses chevaux et ses plus fins méharis : des bêtes parfaites. Le plus beau des compliments, il te l'a fait en avouant son désir de te mettre sous lui.
— Ah ! j'aime quand tu parles comme ça, saïda Muhavija, applaudit Barrira. Je le lui ai répété moi aussi, à Khadjiî. Mais elle me prend pour une cervelle de lait tourné. Toi, tu sais user de ta langue.
Sourde à l'enthousiasme de Barrira, Muhavija s'inclina pour saisir les mains de Khadija.
— Tu es encore dans l'âge et bien assez belle pour donner du bonheur à un homme vigoureux.
— Un homme jeune et fervent, se moqua Khadija.
— Oui. Pourquoi pas ? « Tes servantes ont la jeunesse, mais leur maîtresse possède tout le reste. Un homme véritable sait d'où lui viendra le plus grand plaisir. » Il parle vrai, Al Çakhr. Il sait ce qui compte. À toi de choisir celui à qui tu l'offriras, ce plus grand plaisir. En prenant au passage ce qu'il en faut pour toi...
L'œillade de Muhavija était sans équivoque. Les trois femmes éclatèrent de rire. Khadija retira ses mains de celles de sa cousine.
— Moi qui te croyais de bon conseil.
— Je le suis.
— Un jeune qui voudrait de moi ? Il ne me regarderait pas longtemps m'user. Dès qu'il serait certain d'avoir la main sur mes affaires, il prendrait vite des concubines, une seconde et une troisième épouse. Voilà ce que tu proposes ?
— Maîtresse...
— Tiens, en voilà un que j'aurais pu épouser ! soupira Khadija, mi-sérieuse mi-rieuse, en découvrant Abdonaï en haut des escaliers. Il y a longtemps, et avec bonheur. Si seulement les esclaves, même affranchis, n'étaient pas bannis de la mâla.
Barrira et Muhavija gloussèrent en se cachant derrière leurs doigts. Même s'il avait entendu la tendre plaisanterie, Abdonaï, lui, n'en montra rien. Il conserva son air dur et sévère, celui qu'il arborait pour annoncer les mauvaises nouvelles.
Khadija se raidit. D'une inclinaison de tête l'invita à parler.
— Abu Nurbel nous a envoyé un messager. Il y a neuf jours, la caravane a été attaquée. Avant qu'ils n'entrent dans Sham, tout près de Tabouk.
— Oooh !
— Une grosse attaque. Des méharis et des chevaux. Une trentaine. Plus que Yâkût et ses guerriers ne pouvaient combattre.
— Qu'Hobal nous protège ! Tout est perdu ?
Sombre encore, Abdonaï affronta l'air anxieux des trois femmes. De son poing gauche il serra le cuir recouvrant son moignon. Puis, d'un coup, sa face de guerrier explosa en un grand rire joyeux.
— Rien n'est perdu, saïda !
— Rien ?
— Rien d'important. Pas un bât ni un palanquin.
— Al'lat mille fois grande !
— Seulement douze vieilles chamelles.
— Des vieilles ?...
— Et tu as gagné un homme de confiance.
— Je savais que Yâkût, si on le payait bien...
— Yâkût n'est pas celui qui a sauvé tes biens.
— Que racontes-tu ?
— Ce neveu qu'Abu Talib t'a demandé de prendre à ton service...
— Muhammad ibn `Abdallâh...
— Oui. Ce jeunot-là, cet Ibn `Abdallâh, c'est lui qui a empêché la razzia.
— Lui, ce bout de rien ! s'exclama Barrira.
Abdonaï raconta ce que venait de lui confier le messager d'Abu Nurbel.
— Rusé et courageux, conclut-il. Sans peur de tuer. Qui l'aurait pensé en le voyant si modeste et timide comme une vierge ?
— Il n'est pas blessé ?
— Pas même. Des éraflures, peut-être, que les femmes de la caravane ont dû soigner avec acharnement...
Le ton plein de sous-entendus d'Abdonaï ravit Barrira et Muhavija. Mais Abdonaï aimait surprendre. Son sourire s'effaça.
— Ça, c'est la bonne nouvelle. Il y en a une autre.
— Parle donc, s'agaça Khadija.
— Abu Nurbel et Ibn `Abdallâh te font dire que le seigneur Abu Sofyan a voulu cette razzia. Ils en ont la preuve. Ils te la donneront à leur retour.
Un silence lourd suivit les mots d'Abdonaï. Puis la colère de Khadija explosa.
— Le fourbe ! Le grand fourbe ! Qu'Al'lat lui brûle le cœur.
— C'est la guerre, maîtresse, dit Abdonaï.
— Bien sûr, que c'est la guerre.
— Pas comme tu le crois. Cette ghazwah était un piège..., reprit Abdonaï un ton plus haut, levant une main pour que Khadija l'écoute avec attention. On n'attaque pas une caravane qui monte à Sham avec des bâts qui n'ont pas vu un seul marché. Le messager l'assure : les mauvais voulaient
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