Khadija
soit totalement imbibé et adhère à son corps ainsi qu'une seconde peau.
Tandis que l'eau fraîche ruisselait sur lui et que, frissonnant violemment, Muhammad serrait les mâchoires afin de n'en rien laisser paraître, les fils d'El Kessaï, femmes, hommes, jeunes et vieux, psalmodiaient leur étrange chant.
Quand cela cessa, Za Waad el Kessaï s'approcha de Muhammad. Rivant ses yeux aux siens, il prononça quelques paroles paisibles. Avec un soulagement perceptible, Zimba traduisit :
— Il dit : « Tu as porté du sang d'homme sur toi, pourtant ton esprit est bonté. »
Après quoi, brutalement, les fils d'El Kessaï se détournèrent et s'éloignèrent, disparaissant dans la nuit en silence.
— Où vont-ils ? s'étonna Al Sa'ib.
Zimba désigna les ténèbres de la falaise opposée au chemin par lequel ils étaient parvenus au bas de la faille.
— Là-bas. Leur maison sous terre.
Confidences entre femmes
Le soleil n'était pas levé depuis très longtemps mais déjà dépassait les crêtes environnant Ta'if. Sur la terrasse, profitant de la fraîcheur du matin, Khadija versait elle-même le lait de chèvre adouci de miel dans le gobelet de sa cousine, Muhavija bint Assad al Qoraych.
Elle reposa le pot, patienta le temps que Barrira apporte les pains chauds fourrés aux figues. Lorsque sa cousine y mordit en fermant les paupières de plaisir, Khadija déclara :
— Le beau Al Çakhr n'avait d'yeux que pour ma nouvelle esclave, tu sais, celle qui est à demi perse et qu'on appelle Ashemou de Loin. Quand je le lui ai fait remarquer, il m'a répondu : « Tes servantes ont la jeunesse, mais leur maîtresse possède tout le reste. Un homme véritable sait d'où lui viendra le plus grand plaisir. » Ses mots exactement. Avec les yeux qu'il fallait. Barrira peut te le confirmer.
— Oh oui, devant Al'lat ! renchérit la vieille nounou.
Khadija avait singé les intonations orgueilleuses d'Abu Sofyan. Muhavija eut un hoquet de joie. La même ironie illuminait leurs traits. Finalement, le fou rire les emporta, tandis que Barrira, gênée, se contentait de hocher la tête.
Muhavija s'essuya les lèvres du bout des doigts.
— « Tu es une vieille bique, mais je saurai tirer profit de toi ! » gloussa-t-elle. Voilà ce qu'il entendait par là.
— Exactement ce que j'ai compris, approuva Khadija. Et aussi qu'il aurait, à l'occasion, le temps de m'engrosser.
— De faire sienne ta richesse dans les fils que tu lui donnerais...
— « Soyons comme les deux doigts de la main », a-t-il dit. Sa tête était plaisante à voir quand je l'ai mis à la porte.
À nouveau elles rirent, avec moins de gaieté et plus de colère.
— Quand je pense que j'ai insisté pour que tu portes ta belle tunique, soupira Barrira, honteuse.
— Peut-être en avais-je envie moi aussi, dit Khadija, lui caressant les mains en signe d'apaisement. Voir ce que ses yeux m'auraient dévoilé, ajouta-t-elle à l'adresse de Muhavija.
— Tu n'aurais rien vu du tout. Les yeux d'Abu Sofyan al Çakhr sont comme sa langue et ses lèvres : du poison invisible et sans odeur, répliqua la cousine.
Elle s'empara d'un nouveau petit pain pour le tremper dans le lait, puis désigna la statue d'Al Ozzâ posée sur la terrasse, à quelques pas. Dans la lumière matinale, l'albâtre émettait une intense lueur verte, liquide, dans laquelle les veines du gemme paraissaient vivantes.
— Elle est très belle, mais elle donne la chair de poule, dit Muhavija. Vas-tu la lui rendre ?
— Bien sûr que non ! Il en prendrait prétexte pour une guerre. Je vais l'offrir à celle qui a plus que moi besoin de la paume d'Al Ozzâ sur sa tête.
Muhavija et Barrira dévisagèrent Khadija. Leurs sourcils posaient la question que retenaient leurs lèvres.
— Ashemou, déclara Khadija après avoir bu son lait. Notre nouvelle, belle et coûteuse esclave.
— Khadjiî ! s'exclama Barrira.
— Si, si, c'est une bonne idée, approuva Muhavija. Une très bonne idée : Abu Sofyan l'apprendra. Il se posera des questions. Cette Ashemou lui occupera beaucoup l'esprit. Ah, voilà une histoire qui ne fait que commencer et qui me plaît déjà...
Khadija vida son gobelet de lait, approuvant les paroles de Muhavija d'un battement des paupières. C'était ce qu'elle aimait chez sa cousine : cette manière vive qu'elle avait de comprendre et de voir loin.
D'ailleurs, quoique la ronde Muhavija aimât se prélasser bien après l'aube
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