Khadija
Khadija ! Tu veux dire ?
— Oui.
— Que tu deviennes son épouse ? À Al Çakhr ?
— La seconde seulement.
— Oh, oh ! s'exclama Abu Talib.
Le rire de Khadija retentit dans la cour comme si une belle et grande plaisanterie venait de sortir de la bouche sèche d'Abu Talib. La poitrine secouée de joie, elle se laissa aller contre le tronc du grand tamaris tandis que le petit homme sec se tortillait, n'osant se retourner pour juger de la mine des invités derrière lui.
— Que lui as-tu répondu ? demanda-t-il enfin.
— Qu'une veuve a toujours du plaisir à apprendre qu'un bel homme souhaite la mettre dans son lit.
— Alors ?
— Mais pourquoi Khadija bint Khowaylid, veuve d'Âmmar al Khattab et riche de sa richesse, deviendrait-elle une seconde épouse quand elle est sa propre reine et aussi riche que celui qui veut la plier sous lui ?
— En effet, pourquoi ?
À présent, ils se jaugeaient, les yeux dans les yeux. Ceux de Khadija souriants, ceux d'Abu Talib acérés comme des épines de tza'ab . Puis il battit des paupières et marmonna :
— Sauf qu'un homme bien intentionné peut toujours chercher à satisfaire une veuve. Même la plus riche.
— Abu Talib ! Voudrais-tu... Toi aussi ?
— Non, non ! Oh que non ! Pas moi ! Ma mère ne m'a pas bâti pour ce destin !
C'était au tour d'Abu Talib de rire gaiement, sans gêne. Puis en un clin d'œil son sérieux lui revint.
— Tu dis que je pèse ton poids d'une main et celui d'Al Çakhr de l'autre. Juste. Mais pas pour dire : « Celui d'Abu Sofyan est plus lourd. » Pour dire : « Entre ces deux-là, Abu Talib sait que le sien est le plus léger. » Mon neveu Muhammad a versé le sang. On ne sait pas de qui, mais si le sang coulé est du clan d'Al Çakhr, Abu Sofyan exigera le tha'r, le prix de la loi. Alors, moi, qu'irais-je faire devant Abu Sofyan ? Lui donner ce que je ne veux pas lui donner pour l'apaiser ? Ou laisser la loi du tha'r frapper mon neveu Muhammad ? Et si je donnais ce que je ne veux pas donner pour qu'il vive, Abu Talib serait encore plus maigre et plus léger qu'il ne l'est déjà.
— Alors ?
— Au retour de la caravane, ne mets pas Al Çakhr en accusation. Ne brandis pas la preuve que sa main a dirigé la razzia. Feins de l'ignorer. Ne réclame pas vengeance. Laisse la rumeur s'effacer dans l'ombre. Qu'Al Çakhr n'ait pas besoin de tirer sa lame. Qu'il oublie. Alors, je te le promets : à la mâla, tous ceux des Abd al Muttalib seront ta voix. Et tous ceux des Abd Manâf qui aujourd'hui boudent ta cour quitteront Al Çakhr pour devenir ta voix.
— Tu le peux ?
— Je le peux. Toi et moi, nous pèserons aussi lourds que les Harb et les Banu Omayya d'Abu Sofyan al Çakhr.
Khadija demeura silencieuse, le visage clos, comme si elle était sur le point de refuser. Abu Talib se tortilla de nouveau sur ses talons.
— Tu dis que je suis sage, insista-t-il. Toi aussi, tu l'as été, dans le passé, en ne criant pas vengeance pour Âmmar, ton époux.
— Les veuves ne crient pas vengeance. Il leur faut un bras d'homme pour cela.
— C'est la vérité.
— La proposition d'Abu Sofyan m'a fait réfléchir. Il est malfaisant, mais il a raison. Aujourd'hui, il me faut le bras d'un homme pour porter ma parole à la mâla.
— Oh, oui. C'est la sagesse des veuves. Je l'ai toujours pensé. Et beaucoup, chez nous, aimeraient l'être, ce bras.
— Ne cherche pas, oncle Abu Talib. Ce bras, je l'ai déjà choisi. C'est celui d'un homme qui réalisera cette alliance entre nous, alliance que le Çakhr ne pourra pas rompre.
— Oui ? Qui donc ?
— Ton neveu.
— Muhammad ?
— Muhammad ibn `Abdallâh.
— Qu'Al'lat me protège jusqu'à la fin de mes jours ! Muhammad ?
— Si tu le veux et s'il le veut.
— Et pourquoi ne le voudrait-il pas ?
— Parce qu'il a son âge et que j'ai le mien. Parce qu'on pourrait rire de lui dans tout le Hedjaz.
— Ne songe pas à cela. Il le voudra parce que je le voudrai. Des veuves de Mekka, en connais-tu d'autres qui feraient mieux le bonheur d'un garçon de rien ? Et lui dans ta maison, Al Çakhr oubliera réellement le sang du tha'r.
— Non. Tu le voudras si lui le veut. Comme un homme doit désirer une épouse. Pas comme un lézard qui fuit la pierre entre les pierres. C'est ma seule condition.
L'attente
Plus tard, Barrira guetta la mine d'Abu Talib alors qu'il se faufilait parmi les invités. Ceux-ci se pressaient
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