Khadija
de khôl d'un étui de buis et rendit à sa cousine ce regard brillant et vif que chacun lui connaissait. Après quoi, elle lui prit la main.
— Viens avec moi. Tu vas entendre les mots dont ton cœur a soif.
Muhavija conduisit Khadija dans une pièce étroite à côté de sa chambre. Quand elles eurent tiré le rideau, une petite femme ronde se dressa d'un bond, quittant la paillasse où elle patientait.
— Saïda Khadija bint Khowaylid !
Elle ne devait pas avoir trente ans. Ses yeux étaient pleins de lumière, sa bouche ne pouvait cacher son plaisir des douceurs de la vie, et c'est seulement dans son geste de salut que Khadija reconnut sa parenté avec le sec et austère Abu Talib.
— Kawla bint Hakim est la tante de Muhammad, confirma Muhavija doucement.
— Sa tante préférée ! rectifia la jeune femme. Ou alors, c'est qu'il est mon neveu préféré ! Qu'Al'lat me pardonne, je ne devrais pas parler de lui comme ça, mais il n'y a pas trois années de différence entre nous. Oh, à toi je peux le dire, quand nous étions enfants, Muhammad et moi, nous passions tout notre temps ensemble. Et quand l'âge est venu, et le désir avec, combien de fois ai-je prié Al'lat pour que Muhammad devienne mon bien-aimé ! Mais la déesse est plus sage que moi. Mon neveu chéri n'est jamais devenu mon époux.
Kawla se tut, eut un rire bref, gonfla son abondante poitrine. Puis, ayant perçu l'attente sur le visage de Khadija, elle éclata de rire à nouveau.
— Oh non ! Tu te trompes. Je suis ravie. Muhavija m'a tout raconté. Oh oui, comme je serais heureuse si tu épousais Muhammad. C'est le plus merveilleux des garçons. Et une femme comme toi pour lui, saïda Khadija, ce serait comme si Al'lat elle-même posait sa main sur sa nuque. Je te jure, aucun homme ne te mérite plus que lui.
Khadija l'interrompit d'un geste un peu sec.
— Ce que je voudrais savoir, c'est si Muhammad voudra me prendre pour épouse.
Le visage de Kawla se figea. Le rire, la légèreté et même cette gourmandise qui semblait dévorer ses larges lèvres disparurent. Elle jeta un bref coup d'œil à Muhavija avant de fixer à nouveau Khadija.
— S'il en est un qui peut t'aimer, c'est lui, affirma-t-elle d'une voix nouvelle, grave et lente.
— Pour autre chose que ma fortune ?
— Il ne deviendra l'époux d'aucune femme pour sa richesse. Sinon, riche, il le serait déjà.
— Et bien que je sois une vieille veuve.
— Cela n'est pas vrai. Veuve, tu l'es, saïda Khadija. Mais belle, aussi, bien plus que moi, qui suis de dix années plus jeune que toi.
Khadija ne répondit pas. Ne cilla pas. Ne montra aucun plaisir au compliment.
— Je ne suis pas dans le cœur de Muhammad, saïda Khadija. Ce serait mentir de prétendre le contraire. Mais je le connais, je sais qui il est. Pas un homme que l'âge d'une femme rebute. Il se guide à l'amour, cela, je le sais aussi.
— Et son cœur ne va à aucune femme ?
Kawla retrouva son petit rire. Sa bouche gourmande s'arrondit.
— Quand il a quitté Mekka avec la caravane, son corps allait vers une fille de rien, Lâhla bint Salîh, une servante du vieil Abu Nurbel. Son corps, et pas son cœur.
— Mais des mois auront passé au retour de la caravane.
— Les mois ne créent pas l'amour quand il n'est pas né au premier jour. Ils ne font que lasser.
— Kawla parle d'or, approuva Muhavija. Et tu le sauras au jour de son retour. Tiens bon, Khadija. Il ne te reste plus qu'à attendre une demi-lune. Tiens bon.
Kawla saisit brusquement les mains de Khadija.
— Il est une chose que je sais, qu'Al'lat et Hobal me foudroient si je mens : tu liras le cœur de Muhammad dans ses yeux. Je te le promets. Face à lui, tu sauras. Il est de ceux qui ne savent pas dissimuler. Patiente quatorze jours, saïda, et tu sauras. Et je saurai. Et je serai heureuse pour lui autant que pour toi.
Les retrouvailles
Patienter...
Un supplice. Les trois premières nuits, Khadija sortit de sa chambre pour mesurer la taille de la lune au-dessus de Mekka. Elle ne la voyait en rien diminuer. Elle se répétait les mots de Kawla bint Hakim : « Tu liras le cœur de Muhammad dans ses yeux. Il est de ceux qui ne savent pas dissimuler. » Des mots qui ne l'apaisaient pas.
Elle saurait, oui. Et bien probablement ne saurait que sa ruine.
Elle se souvenait des autres paroles de Kawla : « Quand il a quitté Mekka avec la caravane, son corps allait vers une fille de rien, Lâhla bint
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