Khadija
fouillèrent parmi les tissus. Elle les reconnaissait au toucher aussi bien qu'une aveugle.
— Voilà, murmura-t-elle.
Elle tendit une tunique dont le tissu jaune parut presque blanc dans la pénombre. Ashemou hésita.
— Prends, insista Khadija.
— Maîtresse...
Khadija se redressa. Le châle avait glissé sur l'épaule droite d'Ashemou. Elle le serrait contre son ventre pour qu'il ne tombe pas. Le blanc de ses yeux brillait si fort que Khadija se demanda s'il n'était pas mouillé de larmes.
— Prends, répéta-t-elle plus durement, élevant un peu la voix.
Elle pressa la tunique contre les mains d'Ashemou, qui la saisit maladroitement. Le châle glissa et tomba à ses pieds.
— Pourquoi es-tu si gentille avec moi, saïda ?
Khadija ne put se retenir de guetter une nouvelle fois ce corps nu, si jeune, si beau, et de penser à Muhammad ibn `Abdallâh.
— Ne pose pas de question idiote et couvre-toi, grogna-t-elle.
Quand Ashemou leva les bras pour enfiler la tunique, Khadija lui tourna le dos. Une jarre de grès fermée par un couvercle de bois était posée près de la couche. Elle remplit d'eau un godet d'étain. Recouverte par la tunique, la silhouette fine d'Ashemou dessinait à présent une tache claire. Khadija lui tendit le gobelet. Quand Ashemou le porta à ses lèvres, elle dit :
— Dans la vie, il y a les maîtresses et les esclaves. Les puissants et les autres. Ces autres sont parfois plus forts et possèdent plus de cervelle que les puissants. Barrira était l'esclave de ma mère. Crois-tu qu'elle soit plus loin de mon cœur que celle qui m'a mise au monde ?
Sans attendre de réponse, Khadija se dirigea vers l'angle le plus éloigné de sa couche. Elle s'inclina sur un grand panier recouvert d'un tapis.
— Approche, fille de loin, ordonna-t-elle en soulevant le bord du tapis.
La forme bien reconnaissable de la statue d'Al Ozzâ apparut.
— Tu n'as pas peur d'elle ? demanda Khadija.
— Pourquoi avoir peur ?
— Al Ozzâ n'est pas une bonne déesse. Elle aime la part obscure de nos pensées. Elle aime ce qui n'est pas beau en nous.
— Là d'où je viens, elle n'est la déesse de personne.
Khadija laissa passer un temps, comme si elle s'attendait à une réaction d'Al Ozzâ après pareil blasphème.
— Saurais-tu la porter ? N'est-elle pas trop lourde pour toi ?
Ashemou s'avança. Sans hésitation, elle agrippa les poignées du panier et le souleva.
— Lourde, elle l'est. S'il ne faut pas aller trop loin, je la porterai.
— Dans ta chambre. Tu dormiras ici cette nuit, près de moi. Quand le jour blanchira le ciel, tu l'emporteras dans ta resserre. Abdonaï viendra creuser le sol sous ta couche et vous l'y enterrerez, bien enveloppée dans le tapis. Tu veilleras sur elle pour les temps à venir.
Khadija scrutait les traits d'Ashemou dans le noir afin de deviner sa réaction. Elle n'y vit ni refus ni rejet. Un remords lui serra la gorge. Ashemou chuchota :
— Je le ferai.
— Tu n'as pas peur ?
— Peur de quoi ?
Abu Talib
Le rituel était le même pour tous. Les invités passaient la porte bleue de la maison de Khadija bint Khowaylid. Une large dague ornée d'un manche en corne de bouc retenue sur son ventre, Abdonaï les saluait. Un même salut pour tous, les riches et les moins riches, les puissants des clans et les autres.
Derrière lui se tenaient quatre gardes. Dans la cour, chacun se dirigeait vers un appentis couvert de feuilles de palmier. Sous l'autorité de Barrira, les servantes y cuisaient des kulbz , des galettes de pain gonflées comme des grenouilles sous la chaleur. Avec délicatesse, les femmes remplissaient des écuelles de terre cuite de purées de légumes et de ragoût de poules noires aux fèves. D'un doigt habile, elles ouvraient les galettes brûlantes en leur centre, les fourraient d'un peu de fromage de chèvre à peine caillé, de piment, de menthe broyée et de miettes de dattes. Toujours elles veillaient à saluer trois fois chaque convive. Une inclination du front quand il arrivait, une de la nuque en lui offrant la nourriture, puis quand il s'éloignait. Elles veillaient également à ne pas croiser son regard.
Les mains chargées, les invités se présentaient devant l'autel d'Hobal, dans l'angle est de la maison. Là, posant écuelle et pain fourré sur la pierre des offrandes, ils en prélevaient une part pour le divin protecteur de Mekka. Ils réclamaient son attention et le priaient de conserver sa
Weitere Kostenlose Bücher