Khadija
brûlant. Ne lui confirmait pas que c'était lui, et nul autre, qu'elle voulait comme époux.
Cherchant son regard, Muhammad annonça :
— Saïda Khadija, ta caravane est de retour. Demain, elle entrera dans Mekka. J'ai préféré prendre les devants pour te prévenir.
Son ton égal ne laissait deviner que le respect et une pointe de fierté. Rien d'autre.
Le visage qu'elle lui offrait, l'émotion qu'elle trahissait, elle n'en avait aucune idée. Avait-elle la bouche bêtement ouverte et les yeux ahuris ? Laissait-elle voir son bonheur et sa terreur ? Sa fureur de n'être pas maîtresse d'elle-même ?
Abdonaï attrapa amicalement le coude de Muhammad. Il désigna l'ombre du tamaris. De tous les points de la cour, comme aimantées, averties par on ne sait quel message invisible, accoururent les servantes. Puis, trottinant, agitant son corps las, Barrira approcha.
Son étonnement fut si grand qu'elle oublia tous ses devoirs. Ce fut Abdonaï qui, le premier, donna des ordres. Que l'on serve au nouvel arrivant du lait bien frais et du pain, des dattes et des olives ! Un panier de figues et des gâteaux de miel préparés le matin ! Que Muhammad ibn `Abdallâh, de retour de Sham après cinq lunes d'absence, puisse s'adoucir la bouche aux délices de Mekka.
La voix d'Abdonaï, ferme et nette, extirpa la vieille Barrira de sa léthargie. Elle reprit son rôle et lança de nouveaux ordres. Qu'on déploie le tapis des visiteurs. Qu'on approche le siège de saïda Khadija. Qu'on apporte une grande cruche d'eau et du linge blanc afin que le jeune Muhammad ibn `Abdallâh puisse se laver les mains.
Muhammad ibn `Abdallâh
La cour bruissa et crissa sous les pas des servantes. Khadija retrouvait son emprise sur elle-même. Elle prit place sous le tamaris, se moula dans son rôle de maîtresse, aimable mais lointaine. Voyant la belle Ashemou se tenir en retrait, elle lui fit signe d'approcher, la fit asseoir à son côté tandis que Muhammad ôtait sa cape. Il la replia avec soin. Comme tous les hommes du désert, il s'en fit un siège pour s'installer sur le tapis des visiteurs. D'un geste machinal, il ramena le baudrier de la nimcha sur ses cuisses. Quand les servantes lui tendirent la cruche d'eau claire et le lin blanc pour qu'il puisse se laver les mains, Khadija dit :
— Je suis heureuse de te voir de retour, Muhammad ibn `Abdallâh. Le messager envoyé par Abu Nurbel nous a conté comment tu avais sauvé notre caravane.
Muhammad sourit. Un sourire qui rajeunit son visage envahi par la barbe. On eût cru qu'il avait à peine vingt ans. Entre ses lèvres apparurent des dents légèrement écartées, comme celles des enfants. Le temps d'un éclair Khadija en fut effrayée. Cette jeunesse lui tranchait la poitrine. Rouvrait en grand la plaie du doute.
Sur les doigts de Muhammad, si longs, si fins, aussi élégants que ceux des puissants, qui ne se servaient de leurs mains que pour caresser ou tuer, brillaient encore des gouttelettes d'eau lorsqu'il eut un geste pour atténuer le compliment.
— La déesse Al'lat a voulu que nous soyons plus malins que les pillards. Saïda Khadija, je puis t'assurer que les bâts et les sacs de la caravane sont remplis de tout ce que tu as souhaité.
Un étui de cuir sombre pendait à son cou. Il le retira et en sortit un rouleau verdâtre qu'il tendit à Khadija.
Ce rouleau, qui ressemblait tout autant à une longue feuille de jonc qu'à une écorce, se déploya. Il était recouvert de griffures brunes parfaitement alignées. Il y eut un murmure parmi les servantes. Khadija et Abdonaï adressèrent le même coup d'œil étonné à Muhammad. Fierté et amusement dansaient plus que jamais dans ses yeux. Il devança leurs questions :
— Il y a là les comptes de ce que j'ai acheté pour toi et qui entrera demain dans tes entrepôts.
— Tu sais lire et écrire ? s'enquit Abdonaï.
— Non. Un garçon est venu vers moi pour être mon esclave. C'est lui qui a tenu ces comptes. Lui sait lire et écrire dans la langue des marchands de Sham.
— Il est venu vers toi pour être ton esclave ? répéta Abdonaï, non sans une pointe d'ironie.
— C'est ainsi. Bien sûr, il ignorait qu'il ne pouvait pas être mon esclave. Seulement celui de saïda Khadija. Je le lui ai expliqué, mais il m'a quand même suivi.
— Pourquoi est-il venu vers toi ?
— C'était après la razzia. L'histoire est longue...
Muhammad se tut, laissant entendre qu'il ne s'attendait pas à
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