Khadija
serrait les tempes.
Des cris jaillirent à l'entrée de la cour. Les gardes venaient d'entrouvrir la porte bleue. Abu Talib pénétra dans l'enceinte, le caftan au vent et les bras levés, la bouche pleine d'exclamations. Sautillant d'excitation, il se précipita vers le tamaris.
Il y eut un instant de confusion. Muhammad quitta le tapis des invités. Son oncle le serra dans ses bras. Un instant, ils se dandinèrent en se souhaitant l'aide d'Hobal et les bienfaits d'Al'lat. Les servantes se masquèrent la bouche en pouffant.
Recouverte d'une calotte de feutre, la tête d'Abu Talib arrivait à peine aux épaules de Muhammad. Quoique deux fois plus âgé que son neveu, on eût cru un enfant dans les bras de son père. Plein d'émotion, il se perdait dans ses mots, avait mille questions sur les lèvres et autant de félicitations. Il en oubliait la présence de Khadija.
Celle-ci adressa un signe à Abdonaï et à Barrira. Ashemou fut debout avant eux. La maisonnée commença à se disperser. Muhammad mit fin aux effusions d'Abu Talib. Il voulut s'approcher, raconter encore son périple. Khadija le retint d'un geste. De son ton habituel de maîtresse, avec l'aisance retrouvée de celle qui sait être obéie, elle ordonna :
— Va donc prendre du repos dans la maison de ton oncle, Muhammad ibn `Abdallâh. Tu le mérites, et moi je sais ce que je te dois. Demain, tout Mekka apprendra qui tu es, et tu viendras nous parler encore. Cette maison sera la tienne autant que tu le voudras.
Sans attendre, elle se détourna et s'éloigna. Barrira, plus tard, lui raconta l'étonnement que ces paroles et son brusque départ avaient peint sur le visage de son bien-aimé.
Bonnes nouvelles
Quand la nuit se posa sur la maison, Barrira et Abdonaï avaient déjà donné leur opinion.
Abdonaï déclara :
— Il est jeune et il est vieux. Il est solide. Ce n'est pas par hasard qu'il a pris la nimcha d'un homme d'Abu Sofyan. Il se moque de Yâkût al Makhr, il sait ce qu'il fait. Ses yeux en révèlent plus que sa bouche. Il n'a pourtant pas attendu le poids des ans pour savoir s'en servir. Si tu veux connaître le fond de ma pensée, saïda, le voici : qu'il devienne ton époux. J'en serai jaloux et heureux, car il le mérite. Qu'il devienne celui qui doit me donner des ordres, je l'accepterai. Il le mérite aussi. Même s'il peut encore apprendre deux ou trois choses de moi.
Barrira s'exclama :
— Comment ai-je pu oublier qu'il était si beau, Khadjiî ? Et comme il te dévore des yeux ! Devant toi, les autres ne comptent pas. Oh, ne grimace pas comme ça ! Je sais ce que tu vas me ressasser. Que je suis une vieille toupie qui ne sait que raconter des histoires bonnes à endormir les enfants. Tu penses : « Je suis la saïda de Muhammad ibn `Abdallâh et il veut me prouver quel bon serviteur il est. Il veut assurer son écuelle et que demain, dans mes caravanes, je veuille encore de lui. » Tu te dis, car tu ne peux t'empêcher de douter et de te méfier : « Il a bien des dons, mais il a besoin de moi, Khadija, pour les exhiber devant tous. Alors il me flatte et essaie de me séduire avec sa belle peau de jeunesse. » Mais ce vieux Perse d'Abdonaï le dit comme moi : voilà un garçon qui a de l'orgueil. Il veut devenir un homme qui compte à Mekka. Il a la bouche et la langue pour ça. Il sait manier les mots et se moquer sans en avoir l'air. Il a observé les manières et l'arrogance des puissants. Il sait les reproduire sans être aussi ridicule que son oncle Abu Talib. Il est revenu du pays de Sham en sandales rouges et s'est montré à son avantage dans Mekka. Il sait faire preuve de courage quand il le faut. Un homme de rien qui n'a pas peur que le sang d'un puissant coule sur lui. Les qualités d'un bel époux, qu'Al'lat soit mille fois remerciée, il les a toutes. Tu le savais déjà. Mais je te connais, Khadjiî, c'est plus fort que toi. Tu doutes encore. Tu doutes toujours de toi. Cela parce que tu es folle, comme toutes les femmes qui aiment. Parce que tu as regardé dans le noir de ses yeux et que tu n'as rien su y lire. Je te connais, ma Khadjiî. La vérité, je vais te la dire : dans les yeux noirs de cet Ibn `Abdallâh, tu n'as rien su déceler car tu y cherchais ce qui ne pouvait y être. Devant toi tu n'avais qu'un serviteur venu te rendre des comptes. Comment ce pauvre garçon pouvait-il deviner que sa saïda se consume de désir pour lui ?
Quand la nuit fut devenue épaisse, Khadija,
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