Khadija
sur les routes de Kerbalà et de Kufa. Un homme qui l'avait pris en amitié. Il ne s'était pas offusqué des questions de Muhammad ni de sa soif de savoir.
Un matin, il lui avait confié cette feinte. Les caravanes comptaient toujours un lot de vieilles chamelles. Des outres à lait qui vous encombraient quand l'heure venait de vous défendre contre une attaque. Elles préféraient recevoir vingt coups de fouet, ou même le fil des lames, plutôt que d'abandonner leur allure de vieillardes. Mais d'une faiblesse, avait dit l'homme, il faut toujours savoir faire une force. « Souviens-toi de ce conseil, mon garçon. Le fort est celui qui sait se servir de ce que les autres méprisent. »
Le marchand lui avait montré comment relier les vieilles chamelles entre elles. Pas plus de cinq ou six à la fois. Et il fallait toujours les garder à distance des flancs de la caravane.
Sur le sable, il avait dessiné la manœuvre de contre-offensive. Surtout, raconta Muhammad avec reconnaissance, il m'a montré comment vaincre la peur. « Sache que l'ennemi qui te fait reculer a peur de toi autant que tu as peur de lui. »
Avant même que la caravane quitte Mekka, Muhammad avait voulu expliquer ce piège à Yâkût. Celui-ci s'en était moqué à grands cris. « Tirer une cordée de bourriques au travers de la charge d'une meute de cavaliers ne ferait jamais d'un homme un guerrier, juste une vieille bourrique lui-même », avait-il plaisanté.
Abdonaï s'esclaffa.
— Sûrement, Yâkût n'est pas ton ami.
— Il ne l'est pas, convint Muhammad dans un demi-sourire. Saïda Khadija, il se présentera devant toi de très mauvaise humeur. Après la razzia, il a voulu quitter la caravane. Le seigneur Abu Nurbel a su le retenir. Yâkût considère tout de même que je l'ai insulté. Il a clamé : « Je suis Yâkût al Makhr, je suis celui qu'on paie pour combattre et vaincre, pour protéger les biens des caravanes. Et celui-là, Muhammad ibn `Abdallâh, il n'est payé que pour fuir. Qu'est-il allé faire dans le combat ? Nous aurions vaincu sans lui. » Je lui ai répondu : « Tu as raison. Celui que j'ai tué, je l'ai frappé parce qu'il m'empêchait de fuir. Et les chamelles, même chose. Elles aussi m'empêchaient de fuir. Elles étaient si lentes que mon méhari s'impatientait. Le guerrier, c'est toi. C'est toi qui as vaincu les mauvais, Yâkût al Makhr. Moi, j'ai seulement fait massacrer de vieilles bêtes. Dans Mekka, chacun le saura. J'en rendrai compte à saïda Khadija. » Mais mes paroles ne l'ont pas apaisé.
Le rire d'Abdonaï emplit la cour. Barrira et les servantes gloussèrent, pleines d'admiration. On entendit, ce qui était rare, le rire léger d'Ashemou. Khadija, cependant, eut à peine un sourire. Son sérieux passa dans le regard de Muhammad. Au milieu du brouhaha, elle demanda :
— Où est la preuve que le puissant Abu Sofyan a organisé cette razzia ?
Muhammad souleva la nimcha. De l'index, il montra la gravure qui serpentait dans l'acier. Khadija reconnut aussitôt l'entrelacement des lettres avec lesquelles, à Mekka, on désignait la Pierre Noire du dieu Hobal. Dessous, plus profondément gravées dans le métal, venaient deux courbes opposées par le ventre, chacune rehaussée d'un triangle à la pointe dressée vers l'extérieur. Khadija prit le sabre, le tendit à Abdonaï. Un seul coup d'œil suffit au Perse.
— Les cils d'Abu Sofyan. Aucun doute. L'homme qui se battait avec cette nimcha appartient au clan des Al Çakhr.
D'une voix lourde, soucieuse, Khadija demanda :
— Sais-tu ce que cela signifie pour toi, Ibn `Abdallâh, d'avoir tué un homme des Al Çakhr ?
La question trancha dans les rires, ramenant d'un coup le silence.
Avant de répondre, Muhammad prit le temps de passer sa main droite sur son visage.
— Je suis ton serviteur, saïda Khadija. Ce que je sais, c'est ce qu'il en serait aujourd'hui si ta caravane n'avait pu revenir à Mekka.
Il inclina de nouveau le buste avec humilité et ajouta :
— Tu m'as fait confiance. Tu m'as envoyé au pays de Sham pour que je prenne soin de tes biens aux côtés d'Abu Nurbel et d'Al Sa'ib. Jusqu'à mon dernier jour, je craindrai plus ta colère et ton déplaisir que le sabre d'un homme des Al Çakhr.
À ces mots, tous les visages se tournèrent vers Khadija. Barrira avait la bouche béante de bonheur. Elle connaissait assez le visage de Khadija pour deviner, sous le masque impassible, le contentement qui lui
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