Khadija
grosse vieille tête contre son giron. La nourrice oubliait toutes ses jalousies et pardonnait la trop grande beauté de l'esclave Ashemou de Loin. Son rêve de voir sa bien-aimée Khadija entre les bras d'un époux enfin se réalisait.
Et jusqu'au matin elle les imagina, là, enfin nus l'un devant l'autre dans la faible lumière de la lampe et buvant le lait de chamelle adouci de sukar. Elle imaginait Muhammad tendant les mains pour embraser de ses caresses le corps de son épouse, baisant ses lèvres, découvrant les courbes et la splendeur qui n'appartiennent qu'au temps. Qui d'autre que lui, le jeune et sage Ibn `Abdallâh, saurait mieux verser la poudre de douceur sur la chair impatiente de Khadija ?
À la première lueur du matin, Abdonaï trouva la jeune esclave et la vieille nourrice encore agrippées l'une à l'autre. Elles n'avaient pas quitté l'appentis ni fermé les yeux sous le poids du sommeil. Le Perse ne montra pas d'étonnement ni ne posa de question. Il savait ce qu'elles attendaient. À son tour, il patienta.
Le soleil tranchait déjà des ombres nettes quand la porte de la chambre de Khadija s'ouvrit. Les époux parurent sur le seuil, liés comme si un seul vêtement les enveloppait.
Il suffit à Barrira d'un regard sur le visage de Khadija pour savoir. Ce qu'elle avait imaginé durant la nuit était peu de chose devant la félicité qui avait emporté les époux.
Sans même qu'elle réfléchisse, sa main monta à sa bouche et sa gorge lança le hululement syncopé de la grande joie des épousailles. Ashemou à son tour, puis les servantes de la cour de Khadija bint Khowaylid unirent leurs voix à celle de Barrira.
En peu de temps toutes les demeures de Mekka apprirent que la rumeur était réalité. La veuve bint Khowaylid n'était plus veuve, et Muhammad ibn `Abdallâh, neveu d'Abu Talib, n'était plus un homme de rien.
Troisième partie
Les fils
Le cousin Waraqà ibn Nawfal
Durant une lune entière Mekka ne parla que de ces épousailles. Comme on pouvait s'y attendre. La nouvelle provoqua des ricanements. Ainsi la veuve bint Khowaylid n'était plus veuve ! Et l'époux non seulement était un simple serviteur, mais il avait bien dix années de moins qu'elle ! Bientôt, on raconta l'histoire d'Abu Assad, le patriarche du clan des Khowaylid.
Ce vieux mecquois, si vieux que nul ne savait plus son âge, était le grand-oncle de Khadija. Il habitait une imposante demeure, avec cour et servantes. Il ne s'éloignait de sa couche que pour faire une vingtaine de pas. On le prétendait sourd et n'ayant plus toute sa tête.
La règle et la tradition voulaient cependant qu'aucune alliance des Khowaylid, qu'aucun mariage au sein du clan ne s'accomplisse sans son consentement. Or, assurait-on, dès qu'il avait eu connaissance de la nuit nuptiale de la veuve Khadija avec Muhammad ibn `Abdallâh, Abu Assad était entré dans une colère qui avait manqué de le foudroyer. De tout un jour, il n'avait cessé de gronder des insultes et des imprécations. « Pas question qu'une Khowaylid dépose sa richesse de veuve entre les mains d'un homme de rien ! Depuis toujours, éructait-il, et Hobal lui en était témoin, seuls les puissants peuvent épouser les puissants ! »
Il tempêta tant et si bien que Khadija s'inquiéta. Selon la tradition de Mekka, il n'y avait d'épousailles véritables qu'après que le patriarche du clan des époux eut apposé la marque de son pouce dans une plaque de fine glaise fraîche, entre les marques de l'homme et de la femme. Non seulement la fureur inattendue d'Abu Assad tournait à l'insulte, mais elle menaçait de ruiner son mariage. Aussi dépêcha-t-elle chez lui un sage du clan des Khowaylid, son cousin Waraqà ibn Nawfal.
Waraqà était connu de tous. On disait qu'il était la mémoire de Mekka.
Maigre, sec, sans âge, blanc de poil mais plein de vigueur, il savait manier habilement le stylet d'écriture. Waraqà était un hanif : un scribe, homme de poésie autant que savant de savoir. Été comme hiver, il arpentait la ville couvert jusqu'aux chevilles d'un long manteau noir. Une silhouette reconnaissable entre mille. Son long manteau était supposé cacher l'infirmité dont il était victime depuis sa naissance. En effet, il était né avec une jambe plus courte que l'autre, ce qui le rendait acariâtre de temps à autre. Parlant plusieurs langues et dialectes, il enregistrait sur des plaquettes de glaise et de minces rouleaux de papyrus les alliances,
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