Khadija
examina le contenu. Devant son étonnement, Al Sa'ib et Abu Nurbel éclatèrent de rire.
— Ce n'est pas du poison, saïda, gloussa le vieil Abu Nurbel. Fais donc goûter cette poudre à ton esclave...
Muhammad aussi souriait. Khadija se tourna légèrement vers Abdonaï. Le Perse n'était jamais loin. Il inclina la tête pour acquiescer. Dans la cour, les hommes, curieux, s'étaient levés et s'approchaient du tamaris.
Khadija versa un peu de la poudre brune dans la paume d'Ashemou. La jeune esclave l'approcha de ses lèvres et, de la pointe de la langue, en cueillit un soupçon.
L'étonnement détendit son visage, puis le soulagement.
— C'est doux, s'exclama-t-elle. C'est doux, saïda !
D'un coup, cette fois, Ashemou avala ce qu'il lui restait de poudre dans la main.
— C'est bon !
Elle le lança avec tant de contentement que chacun éclata de rire. Muhammad expliqua :
— Cela s'appelle « sukar », saïda. Ça vient de Perse. Avec cette poudre, même les racines les plus amères deviennent délicieuses.
— Muhammad dit vrai, intervint Abu Nurbel. Mes servantes me font des jus de cédrat avec cette poudre et il est plus agréable à boire qu'un lait d'ânesse.
À son tour il se leva de son tabouret, posa la main sur l'épaule de Muhammad et ajouta :
— Ce neveu d'Abu Talib assure que cette poudre de sukar fera ta fortune et celle de Mekka. Il pourrait bien avoir raison : il n'est pas né, celui qui préférera l'amertume à la douceur.
Abu Nurbel se tut, gardant sa main posée sur l'épaule de Muhammad. Ils étaient tous deux face à Khadija, se tenant à bonne distance, comme si, malgré l'ombre grandissante de la nuit qui éteignait les couleurs une à une, la tunique qui la revêtait les intimidait. Abu Talib grattait nerveusement sa barbe en jetant de petits coups d'œil à Muhammad.
Abu Nurbel déclara :
— La nuit est là, saïda bint Khowaylid. Il nous faut regagner nos demeures avant de nous perdre dans les rues de Mekka. La journée a été longue et belle. Tu nous as offert un festin et beaucoup de joie. Qu'Al'lat te garde près d'elle pour une longue vie et qu'Hobal aime ta richesse. Demain, nous commercerons ensemble. Nous, les Abd Manâf, les Hashim, les Abd al Muttalib et toi, saïda. Pour ce qui s'est passé à Tabouk, nous savons ce que nous savons, toi comme nous. Abu Talib et toi, vous avez été sages de le réduire à un murmure dans Mekka. Quand il le faudra, on s'en souviendra à la mâla. Et si tu n'as personne pour défendre ta parole à la Grande Assemblée, tu auras la nôtre, celle d'Al Sa'ib, d'Abu Talib et de tous ceux qui sont ici ce soir.
Des grondements d'approbation roulèrent derrière Abu Nurbel. Abdonaï fit signe aux serviteurs d'approcher. Les flammes rouges du bitume des torches dansèrent sur les faces des invités et ravivèrent les chatoiements de la tunique de Khadija.
Peut-être fut-ce cela qui provoqua l'étrange sourire qui s'épanouit sur le vieux visage d'Abu Nurbel. Il ôta sa main de l'épaule de Muhammad pour lui frapper doucement la poitrine.
— Saïda, la sagesse d'Hobal le puissant t'a conduite quand tu as choisi Muhammad ibn `Abdallâh pour tes affaires. Je suis comme toi, sans plus de fils. Mais si mes petits-fils se comportaient comme ce neveu d'Abu Talib, je n'irais plus moi-même manger mes galettes sur les pierres du désert. Garde cet homme près de toi, et tu nous verras tous heureux.
Abu Nurbel possédait trop d'expérience pour ne pas connaître le double sens de ses paroles et la gêne qui en découlerait. Afin de briser l'embarras naissant, il salua aussitôt Khadija en lui souhaitant au nom de tous une longue et belle nuit. En un geste que tout le monde comprit, il saisit la main d'Abu Talib et l'entraîna vers la porte bleue. Chacun le suivit. Muhammad ne savait que faire de lui-même. Dans son dos les invités s'éloignaient, emportant le murmure de ce qui, dès l'aube, ferait la rumeur de Mekka.
D'une voix que ni Ashemou, ni Barrira, ni Abdonaï ne reconnurent, Khadija dit :
— Je te remercie de la douceur de ton présent, neveu d'Abu Talib. La parole d'Abu Nurbel est juste. Si l'on ne songe qu'aux affaires.
— Saïda...
Il ne trouva aucun mot de plus à ajouter.
Là-bas, à la porte, ils disparaissaient les uns après les autres.
Khadija passa sa langue sur ses lèvres sèches, pressa la petite bourse de sukar sous sa poitrine. Le chatoiement de sa tunique lança quelques éclats dans la
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