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Khadija

Khadija

Titel: Khadija Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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ventre qui t'aime ? Oh ! avant de te livrer au bon vouloir d'Al'lat, d'Hobal ou de Manât, t'es-tu assez enivré du parfum de ton adorée ? L'as-tu regardée jusqu'au désespoir se lever nue dans l'aube, toi qui demain, au jour renaissant, ne verras, pour beauté, que la bosse de ton chameau près du puits ?
    Les invités maintenant accompagnaient la déclamation du chantre. Tous ensemble, unis comme dans une prière, ils prononcèrent les derniers mots du poème. Une bruyante acclamation jaillit alors de toutes les bouches. Puis les rires et les moqueries reprirent de plus belle, effaçant l'émotion. Tambours et flûtes entamèrent une musique vive et légère. Aussitôt que vidés, les gobelets de cuivre furent remplis de lait fermenté. Le poète, fêté et applaudi, glissa d'un groupe à l'autre, s'enivrant doucement.
    Que Muhammad demeurât silencieux quand chacun s'écriait, qu'il sourît alors que les rires fusaient, nul ne s'en aperçut, sauf son oncle Abu Talib.
    Puis, alors que l'on venait d'allumer les premières mèches des lampes, le silence se fit soudainement. La veuve Khadija bint Khowaylid apparut sur le seuil de sa chambre accompagnée de la vieille Barrira et de la belle esclave qu'on appelait Ashemou de Loin.
    Sa silhouette se dessinait sur la blancheur des murs que le ciel empourpré du soir teintait d'ocre. Aux premiers pas qu'elle fit, elle parut étrangement enveloppée d'un chatoiement de tons et de formes flottantes. Elle dut s'avancer encore dans la lumière sourde pour que ses invités comprennent que l'illusion provenait de sa tunique, faite d'un tissu tel qu'aucun regard d'homme, ici, n'en avait jamais vu.
    Plus qu'à un vêtement, cela faisait songer à une onde dévoilant la silhouette pour l'effacer aussitôt avant de la faire renaître au pas suivant. Comme le matin, sa chevelure était retenue par un collier de simples pierres lustrées. Mais sur sa poitrine, le plastron de cornaline, d'agates et de minces feuilles d'argent rehaussant l'échancrure du col et la refermant semblait être aussi vivant qu'un animal. À chaque mouvement, on le voyait onduler, se tordre ou se lover au creux des seins de Khadija.
    Alanguis sur les tapis, repus de nourriture, excités par le lait fermenté, le cœur et l'esprit embrasés par la musique et les mots, tous furent assaillis de pensées qui ne pouvaient s'avouer ni se partager. La beauté et la chair de l'esclave Ashemou qui marchait derrière sa maîtresse, ils la virent aussi. Mais qu'une fille soit belle à vingt ans, où était la surprise ? Qu'au double ou presque de cet âge, une veuve procure une émotion comme celle qu'ils ressentaient, voilà ce dont longtemps ils allaient se souvenir.
    D'une inclinaison du front, d'un sourire modeste, évitant de croiser les regards, elle salua les uns et les autres en s'approchant du tamaris.
    Il n'était pas dans la coutume que les hommes se lèvent de leur tabouret ou de leur coussin pour accueillir une femme. C'est pourtant ce que fit Muhammad.
    Ceux qui se trouvaient assez près surprirent la grimace d'Al Sa'ib. Plus tard, certains affirmèrent qu'Abu Talib et Abu Nurbel, en même temps, avaient tendu la main pour retenir le jeune Ibn `Abdallâh.
    Dans la cour, ici et là, on entendit des ricanements. Muhammad ne devenait-il pas le serviteur de la saïda ? Les serviteurs, eux, avaient le devoir de se lever devant leur maîtresse.
    Des railleries qui n'eurent pas le temps de devenir fiel. La voix de la saïda Khadija retentit :
    — Tu n'as pas à te lever pour moi, Muhammad ibn `Abdallâh.
    Elle se tenait devant lui, debout non loin de son tabouret, le dévisageant. Le silence pesa si lourd dans la cour qu'on entendit la stridulation infatigable des grillons.
    Muhammad écarta son manteau, dénoua une bourse de toile accrochée à son baudrier et la tendit à Khadija. D'une voix un peu sourde, où l'on devinait l'effort pour paraître calme et naturel, il dit :
    — Je me suis levé, saïda, car j'ai un présent pour toi.
    Elle hésita. Chacun devina ce qu'elle pensait. Prendre elle-même la bourse, c'était risquer de toucher la main du neveu d'Abu Talib. Et devant tous. Cela, elle ne le pouvait pas.
    Elle jeta un coup d'œil à l'esclave Ashemou. La fille tendit la main, saisit le petit sac de toile. Muhammad ibn `Abdallâh ne détourna pas les yeux de sa saïda, ni à cet instant ni pendant qu'Ashemou dénouait les cordons de la bourse. Elle la tendit ouverte à sa maîtresse, qui en

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