Khadija
le vent. Un dieu qui ne vivait que dans les paroles de ceux qu'il avait choisi comme prophètes pour colporter ses jugements et ses lois.
— Et ce dieu est ton dieu ? demanda-t-il abruptement à Zayd.
Le jeune garçon hésita. Khadija surprit le regard qu'il lança de nouveau à Muhammad, comme pour glaner son autorisation. Muhammad l'invita à poursuivre. Alors Zayd rejeta une fois encore, dans un geste familier, sa longue crinière en arrière et acquiesça.
— Oui, je crois au dieu unique des gens du Nord. C'est ainsi que mon père m'a élevé. Dieu et Christus, son prophète de chair.
— Et qu'est-il devenu, ton père, pour que tu sois esclave ici, chez nous ? s'enquit Waraqà sans adoucir sa brusquerie.
— La fièvre l'a tué. Il y a six étés.
— Conte-nous ton histoire.
Zayd tourna la tête vers Muhammad. Celui-ci dit, pour l'encourager :
— Le sage Waraqà a raison, raconte ce que tu m'as raconté. Il est temps que ta maîtresse, la saïda Khadija, entende ce qu'a été ta vie.
Serrant avec nervosité les pans de sa tunique blanche, puis prenant de l'assurance, Zayd se lança.
Six ans plus tôt, alors qu'il était dans sa onzième année, sa famille avait quitté Dumat al Jandal, la ville de sa naissance, pour se rendre à Palmyre. On y réclamait son père afin d'y réparer les colonnes d'un palais. Une promesse de richesse pour tous les siens. Hélas, à peine parvinrent-ils à la frontière du pays de Kalb que la fièvre et la dysenterie tuèrent en quelques jours son père, sa mère et ses frères. Un peu plus tôt, ils avaient bu l'eau souillée d'un puits.
Zayd fut malade à son tour, mais beaucoup moins que ses parents : comme il était le benjamin, sa mère avait insisté pour lui faire boire du lait de chèvre et il n'avait pas eu besoin d'étancher sa soif au puits contaminé.
Des marchands de Ghassan recueillirent et soignèrent l'orphelin. Une fois qu'il fut rétabli, ils lui dirent : « Nous t'avons sauvé. Tu nous appartiens. » Il n'y avait pas à protester. Tels étaient la loi et l'usage.
Ensuite... ensuite, plus d'une fois Zayd regretta d'avoir survécu à la fièvre. Ses nouveaux maîtres étaient arrogants. Violents. Plus les mois passaient, plus les corvées s'alourdissaient. Bientôt, il n'eut plus qu'une pensée : fuir. Hélas, il lui fallut encore de longues lunes de patience avant d'y parvenir. Plus de trois années passèrent avant que l'occasion ne se présente.
Enfin, un jour, une dispute sur le marché de Tabouk dégénéra en une grande confusion. Un brasero renversé mit le feu à des ballots de laine, puis à des jarres d'huile. Bientôt, le feu menaça le marché tout entier et les maisons environnantes. Dans la panique, les marchands ne songèrent qu'à sauver leurs biens. Au risque de se brûler, Zayd s'empara d'un âne attelé à un brancard qui s'enflammait. C'était l'occasion tant attendue : nul ne contrôlait plus les portes. L'âne, reconnaissant, l'emporta au trot vers le sud, loin de Tabouk, là où ceux de Ghassan ne s'aventuraient jamais. Mais il ne fallut pas longtemps au jeune garçon pour s'égarer.
Dans sa fuite, il avait eu la sagesse de voler une gourde d'eau et une poignée de dattes. C'était trop peu. Dès le quatrième jour, la soif et la faim le torturèrent. L'âne, rendu fou par la soif, commença à mordre. Zayd l'abandonna pour affronter le hara. Le délire le prit. Il lui semblait que les falaises du reg étaient toutes proches, qu'il lui suffirait de tendre le bras pour les atteindre. Mais, à chacun de ses pas, elles s'éloignaient, dansaient dans la chaleur, noires telle l'eau d'un puits. Il croyait sentir leur fraîcheur sur la peau brûlée de son visage...
Son corps lui devint étranger. Il perdit toute mesure du temps. Ce qui arriva ensuite, il ne s'en souvenait que comme on se souvient d'un songe. La nuit vint brutalement, pareille à un rideau qui tombe. Et il vit dans le noir naître une lumière. Une lumière qui paraissait enfler et courir sur le sol. Il se souvint de cette folie qui emportait tous ceux qui se perdaient dans le désert. Cela lui donna la force d'avancer. De résister.
Il découvrit enfin une faille illuminée par un feu de palme. L'eau du cratère. Les fils d'El Kessaï vêtus de blanc. Les voyant, il se crut mort pour de bon. Son dieu tout-puissant lui ouvrait enfin la porte du paradis !
La langue sèche, Zayd interrompit son récit. Abdonaï, fasciné, lui versa de l'eau dans
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