Khadija
les décès et les hauts faits des Khowaylid. À l'occasion, c'était également lui qui tranchait les différends et rappelait les jugements des Anciens.
Or, ce vieux fou d'Abu Assad le laissa à peine parler. Pointant vers le ciel un doigt tout déformé, il prit Al'lat à témoin et, crachant autant de salive que de mots, il promit que jamais, jamais ! il n'enfoncerait son pouce dans la plaque de glaise. Sa nièce Khadija pouvait ouvrir sa couche et tout ce qu'elle voulait à ce Muhammad-fils-de-personne, elle ne ferait qu'y perdre son honneur. Et lui, Abu Assad, le premier du clan par l'âge, interdisait que Waraqà trace le moindre signe de ces épousailles sur le papyrus de la mémoire des Khowaylid.
Waraqà, aussi sage que rusé, laissa le vieux patriarche fulminer, lui assurant que tout irait selon sa volonté. Mais il enjoignit Khadija de trouver un moyen autre que la raison pour amener son oncle à appliquer son pouce dans la glaise.
Khadija, en apprenant la résolution de son oncle, entra à son tour dans une rage folle.
— Qu'on lui coupe le pouce, à ce vieux ! Nous aurons ainsi sa signature, dit-elle, surprise elle-même par ses mots.
Enfin, trois nuits plus tard, Ashemou de Loin, la plus belle des servantes de Khadija, dont la beauté avait sidéré tous ceux qui l'avaient contemplée, apparut dans la cour du vieil Abu Assad.
Ce qu'il se passa ensuite dans la chambre du vieillard, nul ne le sut ni ne put même l'imaginer. Abu Assad n'était plus, et depuis longtemps, en état de prendre ce que sans doute on lui offrait. Pourtant, au matin suivant, l'esclave Ashemou était retournée chez sa maîtresse en compagnie du sage Waraqà, qui tenait entre les mains une tablette de glaise toute fraîche où l'on pouvait voir la marque du pouce du patriarche.
Avant que le soleil n'ait séché la fine glaise, Waraqà inscrivit les noms des nouveaux époux dans le papyrus de la mémoire.
L'encre et le stylet tracèrent ainsi les mots de l'alliance nouvelle et charnelle entre les Hashim et les Khowaylid.
On s'accoutuma alors à voir un nouveau Muhammad ibn `Abdallâh dans la ville. Il allait vêtu de neuf sous son grand manteau. Dans les enclos, on apprit à connaître sa voix et ses manières de marchand. L'une était plaisante et souvent rieuse, les autres pleines d'assurance. Beaucoup furent surpris de le trouver aussi dur en affaires qu'il était jeune et enjoué. Abu Talib opinait fièrement quand on le lui faisait remarquer. Son neveu Muhammad était un Hashim par la branche des Abd al Muttalib, et les dures lois du commerce coulaient dans le sang des Hashim dès leur venue au monde.
À qui voulait l'écouter, Abu Talib assurait, en bombant son maigre torse :
— De mon neveu Muhammad, vous ne savez rien encore. Qu'Al'lat vous maintienne en vie assez longtemps pour connaître qui il deviendra !
Dans la maison de Khadija aussi, on fut étonné. Que Khadija resplendisse de bonheur, Barrira et Abdonaï n'en furent pas surpris. Que son jeune époux se montre modeste et soucieux de chacun, cela fut plaisant à découvrir. On avait déjà fait l'expérience d'hommes dont la puissance et la richesse toutes fraîches avaient, le temps d'une nuit, rempli le cœur du fiel de l'arrogance. Muhammad n'était pas de ceux-là.
Un matin, dans la cour réservée aux chameaux, près des pressoirs, il aborda Abdonaï.
— De cette maison, tu sais tout, et moi je ne sais rien. Tu en es le maître, et moi je ne le serai jamais si tu ne m'enseignes pas ce que tu sais.
La formule plut à Abdonaï, qui l'assura de ses services.
— Khadija m'a raconté comment tu as perdu ta main, reprit Muhammad. Elle dit de toi que tu es le plus grand homme de guerre de Mekka.
— La saïda aime à le croire, répliqua Abdonaï en riant.
— Je possède désormais une nimcha, précisa Muhammad. Je l'ai prise à un homme que j'ai tué combat. Pourtant, j'ignore comment m'en servir. Montre-le moi.
Abdonaï hésita. Muhammad persista :
— Celui qui a versé le sang une première fois, même s'il l'a fait pour défendre sa vie, devra tôt ou tard affronter la vengeance. Je compte repartir sur les routes de Sham ou de Ma'rib, et les vieilles chamelles ne pourront pas toujours mourir pour me défendre.
Un matin, Khadija les vit s'entraîner sur le toit de la maison. Le soir, elle demanda à Muhammad s'il voulait devenir un vrai puissant des armes. Il rit et répondit que cela ne lui déplaisait pas de connaître
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