Khadija
un gobelet. Waraqà se pencha en avant.
— Les fils d'El Kessaï ? De qui parles-tu, garçon ?
Muhammad répondit :
— Des hommes du dieu unique. Ce sont eux qui nous ont donné abri la nuit après la razzia. Nous aussi, nous avons vu cette lumière qui sortait du sol en plein désert.
En peu de mots, il raconta au hanif l'étrange rencontre avec celui qu'on appelait Za Whaad. Il décrivit la beauté du disque d'eau dans le cratère de sable dont la surface changeait selon que le ciel ou la lune s'y reflétait. Il conta la dureté de leurs lois. Les interdits.
— Ceux-là, ils ne vivent que pour plaire à leur dieu unique. Le dieu des gens de Sham et de Ghassan. C'est parmi eux que j'ai rencontré ce garçon, conclut Muhammad en désignant Zayd. Il voulait les fuir. Il m'a supplié : « Prends-moi avec toi et je serai ton esclave. » Je lui ai dit qu'il ne serait pas le mien mais celui de saïda Khadija, ma maîtresse. Aujourd'hui mon épouse.
Le regard de Waraqà rencontra celui de Khadija, silencieuse et souriante. Il souleva les pans de son manteau qui traînaient au sol et plissa les paupières.
— Ces fils d'El Kessaï t'ont accueilli alors que tu mourais de soif et de faim, dit-il à Zayd, et tu les as quittés comme tu as quitté les marchands de Ghassan. C'est ce que tu aimes faire, garçon, quitter ceux qui t'offrent la vie ?
— Je devais m'en aller.
— Pourquoi ?
— Ils ne m'offraient pas la vie. Ils voulaient que je me noie pour eux...
— Que tu te noies ? demanda le vieux scribe, l'air incertain.
— Oui. Za Whaad, son père, ses frères, ses fils... Tous ceux qui vont avec lui croient que Dieu l'Unique va venir les chercher dans l'eau. Et moi, ils pensaient que Dieu m'avait envoyé vers eux, tout assoiffé, pour que je les guide dans l'autre monde. Ils disaient : « Dieu t'a adressé vers nous pour qu'on ne s'égare pas en traversant la nuit de la Terre. »
La voix de Zayd s'était faite plus aiguë. Il baissa la tête. Ses cheveux couvrirent son visage pâle. Il tremblait de la peur encore vivante dans sa mémoire. Muhammad intervint :
— Le souvenir est mauvais pour ce garçon, sage Waraqà. Il m'a conté longuement son histoire. Laisse-moi expliquer qui sont ces gens dont il parle.
« Cela débuta il y a de nombreuses années. Les fidèles d'un prophète nommé El Kessaï marchaient dans le désert, cherchant de l'eau. Pas seulement de l'eau pour boire, mais aussi pour se laver. Telle était leur loi divine : ils ne pouvaient adorer leur dieu unique qu'en se purifiant grâce à l'eau. Or une saison passa sans qu'ils trouvent un wadi. Ils crurent que leur dieu ne voulait plus d'eux. Certains se laissèrent mourir, épuisés, désespérés devant cet abandon.
« Une nuit, ils virent une étoile de feu qui, dans un fracas infernal, s'écrasa à moins d'une journée de marche de l'endroit où ils avaient planté leurs tentes.
« Ils partirent à sa recherche mais ne la trouvèrent pas. Or un miracle avait eu lieu : l'étoile, en tombant, avait fendu la roche rouge du désert. Il s'y était formé une vaste coupe de sable où l'eau de leur dieu, remontée du paradis si loin au-dessous de leurs pieds, les attendait en si grande quantité qu'ils pouvaient y plonger tous ensemble.
« Celui qui dirigeait les familles d'El Kessaï dit : “Le Créateur nous a visités. C'est un signe.” Ils décidèrent alors de plonger dans la profondeur de l'eau pour atteindre le paradis. Aucun n'y parvint. Soit ils remontaient, au bord de l'asphyxie, soit ils s'obstinaient et se noyaient.
« Ils conclurent qu'ils n'étaient pas assez purs pour que leur dieu leur ouvre les portes de ses entrailles. »
Zayd s'exclama :
— Ils sont fous ! Leur pureté, c'est de la folie. Chez eux, tout est interdit. Même le rire. Ils voulaient que je plonge avec eux. Que je sois l'ange qui ouvre la porte du dessous de la terre. Ç'aurait été me noyer. Aussi, quand j'ai vu maître Muhammad descendre le chemin jusqu'au cratère, j'ai compris qu'il allait me sauver. C'est pour ça que j'ai voulu être son esclave.
Puis, se reprenant :
— Celui de la saïda, je veux dire.
Malgré le drame qu'évoquait Zayd, ces derniers mots détendirent l'atmosphère sous le tamaris. Khadija rit.
— Ce qui est à moi est à mon époux. Chacun ici le sait. Tu as un maître et une maîtresse, Zayd ibn Hârita al Kalb. Aussi longtemps que tu ne voudras pas nous fuir...
— Jamais,
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