Khadija
parut soudain très pâle et ses cheveux très noirs. Il déplaça son tabouret au milieu d'un halo de lumière et reprit :
« Ibn Nizar, donc... Au matin suivant, ses doigts étaient entièrement noirs. Les plaies des morsures étaient gonflées de pus. Avant que la matinée ne se termine, il sombra dans l'inconscience. Au zénith du soleil, un homme venu d'Afrique, de Sawakin, se présenta chez lui, désireux d'acquérir des objets provenant du marché de Bosra. Découvrant l'état du seigneur Ibn Nizar, il s'enfuit en annonçant à la ronde que la mort noire était entrée dans Mekka. Ses cris alertèrent les passants. Devant un rassemblement de gens inquiets, il raconta que des voyageurs du Nord lui avaient assuré que cette maladie se manifestait d'abord sur les doigts, qui noircissaient comme du charbon. Et que, dans les très grandes puissances du Nord, en bordure de la mer, elle avait décimé des villes entières. Contre cette malédiction, il ne restait qu'à prier les dieux et à fuir dans le désert, loin des morts.
« Les marchands de Sawakin quittèrent Mekka sans même attendre le coucher du soleil.
« Nombreux furent ceux qui se moquèrent de ces propos. “Le marchand de Sawakin est devenu fou !” disaient-ils en riant. Aujourd'hui, on mesure combien cet homme était sage. Il faut espérer qu'ils soient partis, lui et sa caravane, avant que la maladie ne les ait attrapés.
« Le seigneur Ibn Nizar mourut quatre jours plus tard. Au cours de ces quatre journées, sa troisième épouse fut malade à son tour, ainsi que plusieurs de ses serviteurs. Le plus impressionnant pour les Mecquois, ce fut d'apprendre que l'un des serviteurs du seigneur Otba, de la maison des Al Çakhr, qui avait fait affaire avec les serviteurs d'Ibn Nizar, sans entrer en contact avec lui, mourut de cette même maladie.
« Bientôt, ils furent nombreux à avoir les doigts noirs. Puis le seigneur Abu Nurbel perdit sa première épouse.
« Le treizième jour après l'arrivée de la caravane, la terreur se répandit dans les ruelles de Mekka. Ce fléau se glissait dans les maisons comme un chacal errant. Il s'introduisait partout, et chaque nouvelle journée apportait son lot de cadavres. Nul n'était épargné. Les femmes comme les hommes, les vieux et les jeunes, les maîtresses et les servantes, les puissants et les esclaves.
« Les seigneurs de la mâla décidèrent d'offrir des sacrifices à Hobal. Quatre jours... Pendant quatre jours ils tournèrent autour de la Pierre Noire sacrée. Mais même ceux qui se prosternaient devant le grand Hobal virent leurs doigts noircir. D'autres s'écroulèrent, saisis par la fièvre, leurs plaies suintantes sous les tuniques et les manteaux.
« Certains se dirent : “Ce qui arrive dans Mekka est la volonté d'Hobal. C'est la punition d'Hobal.” »
Sous la tente, les ombres s'allongeaient. On entendit au loin le grondement d'un de ces orages sans pluie. Barrira fit ajouter de l'huile dans les lampes. L'odeur des mèches brûlées piqua les narines. Zayd poursuivit :
« Le sage Waraqà se demanda pourquoi une telle punition. “Pour quelle faute ? Qu'avons-nous commis, nous, les Mecquois, qui puisse déplaire à Hobal ?”
« Personne ne sut répondre.
« “Pourquoi seulement Hobal ? interrogèrent quelques-uns. Des dieux qui portent leurs paumes sur Mekka, il n'en manque pas. Cette maladie est peut-être la volonté d'Al'lat la grande, ou d'Al Ozzâ, ou de Manât.”
« Le sage Waraqà n'écarta pas leurs remarques. “Quelle faute la cité aurait-elle pu commettre pour que les dieux veuillent ainsi l'anéantir ?”
« Une fois de plus, nul ne sut lui répondre.
« Des fautes, chacun en commettait chaque jour, ni plus ni moins que depuis l'origine des temps et la naissance de Mekka. Pourquoi soudain châtier les hommes ?
« Jour après jour, les morts s'accumulaient. Les hommes s'effondraient, noirs et pourrissants. Dans les maisons, dans les cours, dans les ruelles, sur les chemins et les places publiques. Plus personne ne se rendait aux entrepôts et aux enclos.
« La nouvelle du mal de Mekka se répandit dans toute la région. “Surtout, évitez la ville de la Ka'bâ ! criait-on sur les routes. Ceux qui s'en approchent meurent. »
« Les puissants seigneurs qui n'étaient pas encore atteints par le mal quittèrent la cité. Ils le firent tous ensemble, une même aube. Emmenant avec eux leurs épouses, leurs serviteurs et les hommes des
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