Khadija
aussitôt, les emprisonna dans ses mains pour les baiser un à un. Rassurée, elle dit :
— Qu'Al'lat garde sa paume sur toi, mon époux. Que mes baisers te protègent de l'ombre de la mort.
Puis, tenant toujours la main de Muhammad dans les siennes, elle ajouta :
— Viens sous la tente te rafraîchir le visage et te nourrir. Tu dois avoir faim. Et nous avons beaucoup à nous dire. Ta dernière fille dort. Tu la verras plus tard. Elle se porte bien. Elle te plaira. Elle est forte.
Al Qasim gloussa :
— Elle n'est pas forte : elle dort tout le temps. Elle tète, elle dort, c'est tout ce qu'elle sait faire. Elle ne sait même pas pleurer.
— Ce n'est pas comme toi ! s'écrièrent en chœur Zaynab et Ruqalya, pouffant.
Al Qasim les ignora. Il posa sa main menue sur le ventre de sa mère et fixa son père.
— Mon frère est là. C'est lui qui est le plus à l'abri de la maladie.
Muhammad rit devant l'aplomb de son fils. Les autres adultes se contentèrent d'un mince sourire. Ce n'était pas la première fois qu'ils entendaient cette phrase, et il y avait longtemps qu'ils ne possédaient plus les certitudes d'Al Qasim.
Khadija devina les craintes qui refermaient les visages de ceux qui les entouraient. Non, elle ne pouvait pas encore s'isoler avec son bien-aimé, comme elle l'aurait souhaité, pour goûter pleinement leurs retrouvailles. Elle appela les servantes.
— Annoncez que maître Muhammad est de retour.
Quand Barrira voulut reconduire les enfants sous la tente des servantes, Al Qasim protesta.
— Je ne vais pas avec les filles, je reste avec mon père !
Khadija hésita. Mais Muhammad avait déjà posé la main sur l'épaule de son fils.
— Tu restes avec moi, et Zaynab et Ruqalya peuvent rester aussi, si elles le souhaitent.
Bien sûr, qu'elles le désiraient. Al Qasim grogna, s'attirant de nouvelles moqueries de son aînée. Khadija entraîna son époux vers la plus grande des tentes.
— Viens. Il faut que tous te voient.
Et, rencontrant le regard d'Abdonaï, elle poursuivit :
— Nous, cela viendra plus tard.
Ce qui était vrai. Une simple et grande vérité de l'instant. Qui ne présageait rien du futur.
Le récit de Zayd
Muhammad se lava le visage et les mains. Les servantes déposèrent devant lui du lait fermenté et des galettes fourrées de fromage de chèvre aux piments verts. Puis les gens de la maisonnée mais aussi d'autres, alertés par la rumeur, s'amassèrent autour de la tente. L'émotion était grande et les pleurs fréquents.
Sur les traits de chacun se lisaient la fatigue et la peur. Il y avait surtout des femmes. Elles saluaient Muhammad en invoquant la clémence d'Al'lat, mais jamais ne prononçaient le nom d'Hobal, à qui elles en voulaient d'avoir abandonné la ville. Après avoir montré un grand respect à Khadija, comme si celle-ci était désormais leur saïda à tous, les nouveaux venus prirent place sur les tapis, sous les dais de toile tendus pour l'occasion.
La cousine Kawla et la cousine Muhavija rejoignirent Muhammad, ainsi que les deux plus jeunes épouses d'Abu Nurbel, leurs servantes et les trois concubines survivantes d'Al Sa'ib. Quand Muhammad leur annonça la mort de leur seigneur, il fut surpris de leur calme, comme si la mort était trop familière pour s'en émouvoir.
Quant aux femmes d'Abu Bakr, lorsqu'elles apprirent qu'il n'était qu'à une demi-journée de caravane, aussi vigoureux et bien portant qu'à son départ de Mekka, elles fondirent en larmes.
Zayd accourut, le visage rougi par la joie et ses longs cheveux en désordre. Il baisa les mains de son maître comme un fils. Muhammad remarqua qu'entre Al Qasim et lui était née une affectueuse complicité de frères. L'un protecteur, l'autre admiratif. Par ses regards, ses gestes et ses paroles, Al Qasim ne traitait pas Zayd en esclave. Il l'observait même avec respect. Lorsque Zayd prit place sur le côté de la tente pendant que Muhammad achevait de se restaurer, Al Qasim alla s'asseoir tout contre lui.
Après avoir salué quelques compagnons de la mâla, Muhammad s'étonna du petit nombre d'hommes présents et de l'absence de Waraqà. Khadija répondit avec colère que, pour la plupart, les hommes de Mekka s'étaient conduits comme des pleutres. Muhammad s'en rendrait bientôt compte. Le hanif, lui, n'avait pas fui. Depuis les premiers signes de la maladie, il étudiait et cherchait sans relâche un remède.
Elle précisa :
— Il lit les vieux rouleaux de
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