Khadija
montre-nous l'exemple. Fais dresser une tente de caravane parmi celles des Bédouins et vois si la maladie te suit. »
Khadija s'assit. À présent, elle parlait posément. Elle caressait son ventre comme, si, sous le tissage de la tunique, elle apaisait l'enfant à venir. Sous la fatigue de son visage, sous les rides nouvelles, chacun pouvait voir la tendresse et la puissance. Et dans le regard qu'elle posait sur son époux, la fierté autant que l'apaisement de celle qui, enfin, n'est plus seule.
Elle raconta comment, suivant le conseil du sage Waraqà, elle installa toute sa maisonnée sous ces tentes où ils se trouvaient.
— Les Bédouins nous ont accueillis comme des frères et des sœurs de clan. Sans craindre que la maladie ne vienne parmi eux. Hélas, il a fallu beaucoup de persuasion pour que les femmes, les épouses abandonnées, les servantes et le serviteurs des autres maisonnées acceptent de camper avec nous parmi les Bédouins. Ils se sont obstinés à demeurer trop de temps encore dans l'air vicié de leurs murs, et lorsque enfin ils les ont quittés, nombreux étaient ceux qui emportaient le mal avec eux. Alors nous fîmes installer leurs tentes à l'écart, loin des puits et des troupeaux.
Elle fut interrompue par des cris à l'extérieur. Muhammad se précipita, suivi de Khadija et de Zayd. Un groupe d'hommes, dont l'obscurité voilait les visages, poussaient avec des bâtons un malheureux loin du campement.
— Il a les doigts noirs ! Il risque de nous contaminer, dit un homme avant de se fondre dans l'ombre.
Les cris s'éloignèrent.
— Pour que la mort noire ne se répande pas à l'extérieur de Mekka comme à l'intérieur, nous devons être impitoyables, expliqua Khadija, de retour sous la tente. Chacun peut le constater : après trois lunes où rien ne le contrariait, le fléau est en train de reculer.
Khadija laissa pour la première fois la fatigue paraître dans sa voix. Barrira, toujours aux aguets, lui apporta un gobelet de lait de chamelle. Khadija but d'un trait puis, rendant le gobelet vide, elle poursuivit :
— Voici tout de même une bonne nouvelle : le hanif a trouvé dans ses rouleaux la mémoire d'une maladie semblable. Il y est dit qu'il faut brûler sans hésiter toutes les traces des morts. Les vêtements, les objets, même les plus précieux. Il faut brûler les cadavres séchés par le soleil et enfouir leurs cendres loin des puits. Il faut enterrer loin des routes et des lieux de passage les cadavres que la pourriture n'a pas encore pris. Pour protéger les enfants, les nouveau-nés et les femmes enceintes, il faut les enduire d'huile.
Elle s'interrompit brusquement.
— Qu'All'at me vienne en aide ! Bientôt, nous n'aurons plus d'huile !
— Moi, j'en rapporte de Sanaa ! s'exclama Muhammad, déjà debout. Quatre des chameaux de notre caravane en transportent des jarres pleines. La caravane n'est qu'à un quart de jour de Mekka, sous la garde d'Abu Bakr. Il attend mon signal pour nous rejoindre. Il n'y a pas que de l'huile, mais aussi des tissages propres et neufs, du grain, des cuirs, des objets que la maladie n'a pas souillées.
Muhammad fit quelques pas. Et, comme si c'était là un signe, tous se levèrent. Khadija prit la main de son époux, la baisa avec ferveur.
— Vous tous qui êtes là, sous la grande tente de Khadija bint Khowaylid, je vous le promets ! clama-t-elle. Maintenant que mon époux, le seigneur Muhammad ibn `Abdallâh, est de retour, nous vaincrons la mort noire et sauverons Mekka.
La mort d'une déesse
La lumière de la lune était si intense qu'elle traversait la toile de la tente et éclairait, avec une extrême netteté, tous les objets : les coffres, les tapis, les jarres et même la couche.
Khadija ne dormait pas. Elle écoutait le souffle régulier de son époux et guettait, appuyée contre des coussins, les ombres mouvantes que sa respiration dessinait sur sa poitrine nue.
Après l'amour et les ultimes caresses, il s'était tourné sur le côté, un bras noué autour de sa taille, pour s'endormir d'un coup, ainsi que les hommes des caravanes savent prendre du repos. Sa hanche était pressée contre la cuisse de Khadija, leurs chairs brûlantes se fondaient l'une dans l'autre comme si leurs sangs bouillonnaient encore du désir de se mêler en un seul et unique feu de vie.
Dans un geste machinal, Khadija caressa son ventre rond. Une caresse qui fit ressurgir celles de Muhammad.
Enfin, il était de
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