Khadija
wadi.
Son époux ne s'était pas mépris. Il avait deviné le bonheur sous le flot de douleur. Il avait deviné la crue du désir qui ravine tout. Il n'avait pas cessé ses caresses. La basculant sur le côté, il était entré en elle comme un prince s'élance dans un monde profond et lumineux. De tout ce temps de merveille où il l'avait emportée vers la jouissance, il n'avait cessé de sourire.
Que les dieux, que les sombres et terribles dieux, s'ils se souciaient encore des demi-vivants sous les tentes de Mekka, en soient remerciés ! Et qu'ils voient. Qu'ils reconnaissent cette vérité : l'amour entre Muhammad ibn `Abdallâh et son épouse Khadija bint Khowaylid était le plus pur, le plus fort, sans simagrées, sans hypocrisie ni mensonges.
Un amour que rien, ni la mort noire ni le poison de la peur ou la fuite des couards n'avait pu amoindrir.
Maintenant, sous le lait de la lune, dans l'apaisement du désir assouvi, comme si elle avait bu une force nouvelle à la beauté de son époux, Khadija songeait que cela se pouvait. Peut-être avait-elle dit vrai tout à l'heure, devant tous, sous la grande tente. Muhammad ibn `Abdallâh était de retour dans Mekka. Il n'apportait pas simplement les richesses si nécessaires de sa caravane, il apportait également la force de vaincre la mort noire.
Et à lui Waraqà confierait enfin ce savoir si précieux auquel elle n'avait pas le droit d'accéder, elle, la saïda !
« Ce que disent les rouleaux de mémoire, ce sont des oreilles d'homme qui doivent l'entendre. C'est ainsi, et depuis toujours. Tu es la saïda bint Khowaylid, maîtresse de ta maisonnée et de ta richesse, certes, mais tu es une femme. Tes oreilles ne sont pas plus faites pour les rouleaux de mémoire que ta bouche pour les décisions de la mâla. C'est ainsi. »
Khadija ferma les yeux. Voilà que la colère contre Waraqà la reprenait. Elle devait se contrôler. Le vieux hanif pouvait être borné sur bien des choses, mais il avait été courageux quand tant d'autres ne l'avaient pas été. Jamais il ne s'était soucié de quitter Mekka. Tout ce qu'il apprenait dans ses rouleaux pour lutter contre la maladie, il s'empressait de le confier à chacun, homme ou femme, puissant ou serviteur, riche ou pauvre. « Le mal est pour tous. Le remède sera pour tous ! », répétait-il.
Mais elle aussi, Khadija bint Khowaylid, avait ses secrets.
Ce que jamais Waraqà ni Muhammad n'apprendraient, c'est ce qu'elle avait fait trois nuits avant qu'Abu Sofyan et les puissants fuient Mekka.
L'idée lui en était venue quelques jours plus tôt. La maladie courait d'un bout à l'autre de la cité. Un matin, Abdonaï lui annonça la mort du vieil Abu Nurbel. De la maisonnée de celui qui avait été un fidèle compagnon de son défunt époux, il ne restait plus que la moitié des femmes, servantes et serviteurs. La mort noire se propageait de cour en cour. Chacun se convainquait qu'Hobal voulait la ruine de Mekka. La peur nourrissait les paroles. Sans cesse on entendait : « N'allez plus à la Ka'bâ. Ceux qui ont les doigts déjà noirs s'y traînent, on se demande pourquoi : Hobal les ignore. Ils meurent devant la Pierre Noire aussi bien que chez eux. »
Beaucoup retiraient de leur cou les amulettes de cornaline, le signe du pouvoir d'Hobal. Dans les cours, les cendres des autels qui lui étaient dédiés étaient froides. Quelques-uns faisaient encore des offrandes à Al'lat, mais on leur disait : « Le pouvoir d'Al'lat va sur ceux qui voyagent dans le désert. Si Hobal se détourne de Mekka, tant que nous restons dans nos maisons, la déesse sera aussi impuissante que nous. Il faut fuir dans le désert pour rester en vie. »
En entendant ces mots, Waraqà le sage grognait comme devant les sottises d'un enfant. Mais il n'offrait pas plus sa pensée que son savoir : « Qui connaît la volonté d'Hobal ? Qui connaît la volonté des dieux ? Ont-ils des mots pour nous parler ? Dans le bonheur comme dans le malheur, nous n'entendons que leur silence. »
Les gens se détournaient de lui avec colère : « Comment oses-tu prononcer de telles paroles, hanif ? Tu ne sais donc pas voir ce qui est évident ? Hobal a lancé la Pierre Noire dans notre désert pour faire la richesse de Mekka. Aujourd'hui, il nous envoie la mort noire pour nous punir de nos fautes. »
« De quelles fautes parlez-vous ? » grondait Waraqà avant de leur tourner le dos.
Qui avait tort, qui avait
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