Khadija
raison ? Comment elle, Khadija, aurait-elle pu trancher ?
Mais ce jour de la mort d'Abu Nurbel, au crépuscule, elle se décida. Elle rejoignit Ashemou dans sa chambre étroite.
« Pourquoi la maladie est sur nous, je l'ignore, dit-elle à l'esclave qu'elle aimait autant qu'une fille ou une sœur. Si c'est la volonté d'Hobal ou d'Al'lat de nous punir, je ne le sais pas. Comme le hanif, je ne connais pas notre faute. »
Si Ashemou fut surprise d'entendre ces paroles, elle n'en montra rien. De ses beaux yeux calmes, elle observa sa maîtresse attentivement. Khadija, la voix encore plus basse, ajouta :
« Que notre mal vienne d'Al Ozzâ, je n'entends personne le dire. Mais dès qu'Abu Sofyan m'a offert cette femme d'albâtre, à Ta'if, j'ai su qu'elle n'était pas bonne pour notre maisonnée. »
Ashemou approuva d'un signe et murmura :
« Je savais que tu viendrais pour elle, saïda. »
Elle repoussa des paniers et des tissages au pied de sa couche. La statue d'albâtre d'Al Ozzâ apparut telle qu'Abu Sofyan l'avait apportée, des années plus tôt, dans la maison de Ta'if.
« Tu n'auras pas à creuser, poursuivit Ashemou avec légèreté. Je l'ai retirée de sous ma couche ces dernières nuits. Personne ne m'a vue ni entendue. »
Khadija scruta son visage dans la lumière mouvante de la lampe. Comme souvent, il lui sembla qu'Ashemou en savait plus qu'elle ne le laissait paraître. Avait-elle deviné la volonté de sa maîtresse avant même que Khadija ne se décide ?
Comme pour le confirmer, Ashemou ajouta :
« J'ai pensé que tu ne voudrais rien dire à saïda Barrira ou à Abdonaï. Que tu préférerais qu'on ne soit que toutes les deux pour en finir avec elle. »
D'un geste négligent, elle désigna la statue à ses pieds. Khadija s'étonna :
« Tu ne crains pas ce que l'on va faire ?
« — Cette statue de pierre est restée sous ma couche pendant plus de dix années et pas une nuit elle n'a gâché mon sommeil.
« — Tu penses que ce n'est pas une vraie déesse ?
« — Je ne sais pas. Peut-être en est-elle une pour toi. Ou pour ceux qui la vénèrent. »
Comme pour rappeler à Khadija le geste qu'avait eu Abu Sofyan à Ta'if, Ashemou passa la lampe derrière la statue. Aussitôt, la pierre s'illumina, diffusant une étrange lueur verte sur les murs de la chambre étroite. Un instant, Khadija et Ashemou ne purent s'empêcher d'admirer la silhouette qui apparaissait sous leurs yeux. La sensualité de cet être de pierre possédait un charme auquel il était difficile de ne pas succomber. Tout en faisant danser la lumière de la lampe à hauteur de la poitrine de la statue, Ashemou caressa la nuque et les épaules d'albâtre.
Voyant l'aisance avec laquelle Ashemou jouait avec la statue, Khadija ne douta pas qu'elle avait, seule dans sa chambre, répété ces gestes plusieurs fois déjà. Elle ordonna :
« Cesse. Retire la lampe. »
Ashemou obéit. Elle dit avec douceur, en regardant Khadija bien en face :
« Ce que les dieux veulent de nous, qui peut le savoir ? Le hanif dit : “La volonté des dieux n'est qu'une énigme dont nous ne savons pas déchiffrer les signes.”
« — Waraqà te parle ainsi ? »
« — À moi, non. Mais quand il parle avec Zayd, je l'écoute. »
Elles se sourirent. Ashemou reprit :
« Pour moi, c'est comme si les dieux n'existaient plus. Ceux de mon père et des pères de mon père ne se soucient plus de moi depuis longtemps. Et dans ta maison, le bien que je reçois vient de toi, pas d'Hobal ou d'Al'lat. »
Khadija ouvrit la bouche pour protester. Les mots d'Ashemou l'avaient emplie de peur. Mais face au calme et au sourire de l'esclave, elle se contraignit à n'en rien montrer. Elle demanda :
« Tu penses que le cousin Abu Sofyan ne m'a offert cette statue que dans le but de m'effrayer ?
« — Il voulait voir si la peur te conduirait dans sa couche. »
Cela, Khadija s'en souvenait aussi bien qu'Ashemou.
« S'il est une chose certaine, acquiesça-t-elle, c'est que le seigneur Abu Sofyan ne m'a pas fait ce présent pour mon bien et celui de ma maisonnée.
« — Peut-être est-ce seulement la peur qui donne à cette pierre la forme et la présence d'Al Ozzâ ? Mais moi, je n'ai pas peur de la briser pour te débarrasser de la méchanceté du seigneur Abu Sofyan. »
Et comme elle voyait Khadija hésiter, Ashemou ajouta :
« Je peux le faire seule, si tu crains la colère d'Al
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