Khadija
signes. »
La main sur son ventre rond, Khadija s'inclina, baisa la nuque de Muhammad. Respira son odeur aimée, son parfum d'homme en sommeil.
Jamais personne ne saurait ce qu'elle avait accompli sur la route d'Arafa avec Ashemou. Mais s'il en était un qui pouvait apaiser ses doutes, ses incertitudes, la purifier de la souillure de ces terreurs, de ces confusions, de cette immense laideur dont la mort noire recouvrait chaque vivant de Mekka, c'était lui. Cet homme à la peau fine, si doux quand il venait en elle dans la lumière du désir.
Les révélations de Waraqà
Le matin suivant, aussitôt après les ablutions de l'aube, Khadija conduisit Muhammad devant la tente du sage Waraqà. Les servantes du hanif cuisaient ses galettes. Avant de soulever la portière de la tente, Khadija consulta du regard son époux. Il hocha la tête sans un mot.
Une fois à l'intérieur, Muhammad laissa échapper une exclamation de surprise. Il restait à peine assez d'espace pour s'asseoir sur de vieux coussins. Le sol était jonché d'un fatras où disparaissaient les tapis et l'étroite couche. Partout des coffres béants débordaient de rouleaux d'écriture. D'autres rouleaux ainsi que des enveloppes de lin et de cuir s'amassaient aux côtés du hanif. Assis sur un coussin au cœur de cet amoncellement désordonné, engoncé dans son manteau noir, un bonnet en poil de chameau recouvrant son crâne nu, il se tenait incliné sur une sorte de long tabouret. Deux pierres plates gravées de signes y retenaient les extrémités déroulées d'une bande d'écriture.
Les sourcils froncés par la mauvaise humeur, il releva la tête. Un éclair de satisfaction passa dans son regard avant qu'il ne reprenne sa mine renfrognée.
— Muhammad ibn `Abdallâh ! De retour enfin ! De retour dans notre belle Mekka !
À Khadija, il adressa un vague coup d'œil. Et, se tournant de nouveau vers Muhammad :
— Tu es arrivé hier, m'a-t-on rapporté.
Muhammad le confirma d'un geste.
— Et tu n'es pas venu me voir. Ne sais-tu pas qu'ici, chaque instant compte ?
Waraqà brandit brusquement les mains, écartant les doigts sous les yeux de Muhammad.
— Hier, mes mains étaient saines. Aujourd'hui, mes doigts pourraient être noirs.
— Mais ils ne le sont pas, fit Muhammad avec un léger sourire.
— Ne souris pas. Il n'y a rien ici qui prête à sourire.
— Tu te trompes, cousin Waraqà, intervint Khadija sur le même ton léger et ironique que Muhammad. Plus que le sourire, il y a le bonheur de l'épouse qui retrouve son bien-aimé. Vivant et aussi beau qu'à son départ. Ta sagesse est grande, hanif. Et aussi ton impatience. Mais pardonne à celle qui porte le fils de son époux d'être aussi sage et impatiente que toi, à sa manière.
Waraqà ouvrit la bouche, les lèvres tirées par la colère. En signe d'apaisement, Khadija leva la main.
— Au moins, je connais ton état. À chaque mouvement du soleil et des ombres, tes servantes viennent m'assurer que tes doigts sont ceux d'un bien-portant. Que les dieux en soient remerciés.
— Les dieux, les dieux ! gronda le sage. Sais-tu de quoi tu parles ?
Avec un grognement de dédain, Waraqà eut un geste en direction de Khadija comme s'il voulait la chasser de la tente.
— L'homme ne saurait fabriquer une tablette de glaise pour y inscrire son propre nom, mais il fabrique, de cette même glaise, des dieux à la douzaine...
À Muhammad il déclara :
— Il est des choses que tu dois savoir. Quoi que prétende ton épouse, aujourd'hui peut être mon dernier jour. Ou demain. Si la maladie me prend, il sera trop tard.
Il jeta un coup d'œil de reproche à Khadija, puis désigna l'amas de tablettes et le fatras de rouleaux qui l'entouraient.
— Certains appartenaient au père du père de mon père. Tout ce que nos anciens ont laissé de traces dans le temps est là. Il y en a tellement que je n'avais encore jamais tout lu. C'est presque fait, tout du moins pour ceux qui sont dans une langue que je connais. Ton esclave Zayd connaît bien la langue de Judha. Il a pu m'aider. C'est un bon garçon, celui-là qui est venu à toi, Muhammad ibn `Abdallâh. Mais il n'est qu'un esclave. Il n'est issu ni des Al Qoraych ni de Mekka. Ce que j'ai à te dire, c'est un homme d'ici qui doit l'entendre. Un homme qui peut tenir sa parole et être écouté à la mâla.
En prononçant ces derniers mots, Waraqà regarda de nouveau Khadija. Elle sentit la rage l'envahir. Voilà
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