Khadija
la voix s'assourdissant. Un beau garçon si tu prends bien soin d'elle, Muhammad ibn `Abdallâh. Ton épouse t'a ouvert la porte. Elle t'a conduit. Elle te conduit, tu vas dans le désert, elle sait te conduire.
Tandis qu'elle prononçait ces dernières paroles, la fièvre emporta Barrira. Il y eut un silence. Les sanglots de Khadija se joignirent à ceux d'Ashemou et des servantes qui se pressaient autour d'elle. Barrira serrait les mains sur sa poitrine, les tordant doucement. Brusquement, elle fixa Abdonaï.
— Abdonaï, fais pour moi ce que je ferais pour toi.
Sa voix était à nouveau nette et calme.
— Je ne veux pas mourir de cette maladie. Je ne veux pas pourrir dans cette maison. J'en ai assez vu, et toi aussi, de cette laideur. Dans ma chambre, sous ma couche, tu trouveras un sachet d'herbes et de poudres. Prépare-moi une tisane, Abdonaï. Si tu as eu de l'affection pour moi durant toutes ces années, offre-moi cette bonne tisane. Et ensuite, sois prudent en enveloppant mon corps pour le mettre en terre. J'ai déjà revêtu trois tuniques. Et quand il le faudra, je me roulerai dans ce manteau. Je ne veux pas te revoir de sitôt. On s'est tenus bien assez longtemps côte à côte.
Le souffle rauque d'Abdonaï emplit l'air, mais il ne parla pas. Ses yeux ne quittaient pas Barrira. Elle sourit et approuva d'une légère inclinaison du front. D'une voix à peine audible, Khadija dit :
— Grande vie à toi dans l'autre monde, aimée Barrira. Belle vie à toi sous la paume d'Al'lat la puissante. Pour toi, il n'y aura ni ténèbres ni douleur. Ta paix sera éternelle. Aussi longtemps que je vivrai, je serai ta fille.
Sans desserrer les dents Abdonaï fit ce que Barrira attendait de lui. Il déposa le gobelet d'eau chaude et de poison à l'intérieur de la resserre et ferma la porte derrière lui après que Barrira lui eut adressé un sourire et un merci.
Toute la maisonnée attendit sous le tamaris, les mains de Khadija nouées à celle de Muhammad, les sanglots et les gémissements résonnant dans la cour.
Plus tard, Khadija dit à Abdonaï :
— On l'enterrera dans le vrai cimetière de Mekka, au côté des femmes de mon lignage.
Ce qu'ils firent dès le crépuscule. La nouvelle de la mort de Barrira s'était propagée. Quand Muhammad et Abdonaï firent glisser le corps lourd de la vieille servante enveloppé de linge blanc dans la fosse, tous ceux qui avaient survécu étaient présents. Comme avant la maladie, comme le voulait la tradition, ils marmonnèrent et chantèrent les prières à Al'lat, la remerciant pour le temps de vie et le temps de mort.
Pour beaucoup, ce fut comme si Barrira emportait dans sa tombe ce mal qui avait voulu tous les anéantir. Et comme ils s'en retournaient vers les ruelles de Mekka et leurs maisons retrouvées, résonnèrent les cris de joie des enfants de Bédouins qui annonçaient les premières caravanes des puissants de retour de Ta'if.
Fatima
À la stupéfaction de tous, Mekka reprit vie rapidement. Pourtant, la joie des retrouvailles et la délivrance du mal n'effaçaient pas le souvenir des morts, ni celui des abandons et des trahisons.
Dans la maison de Khadija, chacun se préparait au prochain enfantement de la saïda. Pourtant la mort de Barrira occupait toutes les pensées. Les servantes, tant habituées à la voix rauque, aux colères et aux rires de la vieille nourrice, s'assombrissaient pour un rien. Abdonaï, pour masquer une peine qu'il jugeait à peine digne d'un homme, s'enferma dans un mutisme rageur. D'un coup, lui qui avait avancé dans le temps sans usure ni autre émotion que sa fidélité à Khadija parut vieilli et fragile, tel un époux abandonné.
Quoiqu'elle fît de son mieux pour montrer bonne figure, Khadija elle-même ne pouvait s'empêcher d'être tourmentée par l'absence de Barrira et de craindre l'enfantement prochain, sans le dire jamais, surtout à son époux. Elle regardait Al Qasim jouer et lui revenait un peu de joie. Bientôt, ce serait des frères qu'elle regarderait jouer et se chamailler. Oh, comme il allait être beau, le nouveau garçon de son époux bien-aimé ! Il aurait ses yeux, son menton, sa peau douce et si désirable. Il aurait, comme Al Qasim, le regard un peu lointain et amusé de Muhammad. Ce regard qui l'avait fait fondre d'amour, elle, son épouse, son amante.
Puis, l'instant suivant, le doute la tenaillait. Comment pouvait-elle croire que ce serait un garçon ? Comme elle aurait aimé que
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