Khadija
sa vieille Barrira soit là pour lui tenir les mains le jour de l'enfantement !
C'était la première fois qu'elle allait accoucher par les soins d'une autre que Barrira. La cousine Muhavija avait déjà trouvé une de ces femmes de savoir dont c'était la tâche.
— Elle est aussi habile que Barrira, assurait Muhavija. C'est elle qui a mis au monde tous les enfants des femmes de chez nous. N'aie pas peur.
Pourtant, Khadija avait peur.
Elle avait tort. Et elle avait raison.
Le nouveau-né naquit sans plus de difficulté ni de douleur que les précédents enfants. Il sembla même à Khadija que cela fut plus facile. La femme de savoir se montra aussi experte, rassurante et délicate que Barrira. Le sang mortel qui emportait tant de femmes ne coula pas de son ventre en même temps que le nouveau-né. Mais quand elle eut l'enfant minuscule dans ses mains, Muhavija annonça, esquissant un sourire triste :
— C'est une fille, Khadija. Une bien belle fille !
Et la femme de savoir ajouta aussitôt :
— Saïda bint Khowaylid, tu ne dois plus enfanter ou tu mourras. Cette enfant doit être la dernière. Tout s'est bien passé parce que les dieux l'ont voulu ainsi. Cependant, tu as ton âge, saïda. Une naissance de plus te tuera et tuera l'enfant que tu porteras.
Khadija n'eut pas de cris ni même de larmes. Elle demanda à Muhavija et à Kawla de présenter la nouveau-née à Muhammad mais, lorsque son époux voulut venir près de sa couche, elle refusa.
— Tu ne veux pas voir ton époux ? s'étonna Muhavija.
— Je ne veux pas qu'il voie celle qui n'a pas su lui donner un nouveau fils. Ni celle qui est trop vieille désormais pour lui offrir son ventre.
— Khadjiî !
Emportée par l'émotion, la cousine Muhavija avait repris le surnom dont usait seulement Barrira. La surprise les figea toutes deux. Khadija saisit la main de Muhavija.
— Si Muhammad demande pourquoi je le tiens hors de ma chambre, dis-lui la vérité. À lui, je ne cacherai jamais rien.
Devant la nouveau-née, Muhammad laissa exploser sa joie et se refusa à écouter ce qui pouvait l'assombrir.
— Elle est belle et parfaite ! s'écria-t-il en baisant le front du nourrisson. Regardez-la : elle va vivre plus longtemps que moi ! Je le sens. Cousine Kawla, je t'en conjure, convaincs Khadija : je me moque d'avoir un fils de plus. Al Qasim est déjà tout mon bonheur. Chacun de mes enfants, fille ou garçon, est une montagne de bonheur. Ils me sont plus précieux qu'une goutte de rosée dans le Nefoud ! Dis-le à mon épouse. Est-ce qu'on a vaincu la mort noire pour s'attrister d'avoir une fille plutôt qu'un fils ?
Lorsque Muhavija rapporta la joie de Muhammad, répéta ses paroles, assura que pas une fois son époux n'avait montré de regret d'avoir une quatrième fille plutôt qu'un second fils, Khadija demeura sans émotion. Le soir et le matin suivants, elle se contenta de demander si le bébé se portait bien. Kawla lui assura qu'elle était en pleine santé et belle à voir. Une fois encore, elle insista :
— Saïda, tu ne la veux pas dans tes bras ? Tu ne la veux pas contre ton sein ?
Khadija répondit durement :
— Mon sein est sec. La nourrice l'abreuvera de plus de forces que moi.
Après quelques jours où nul ne la vit dans la cour et où les servantes ne parlaient plus que de cet enfermement dans lequel se tenait leur maîtresse, Khadija demanda si son époux avait donné un nom à sa fille.
— Il l'a fait, répondit Muhavija avec humeur. Et il est allé tourner avec elle dans ses bras autour de la Pierre Noire. Mais ce qu'est ce nom, nul ne le sait. Il a promis qu'il ne le prononcerait que devant toi.
Khadija approuva d'un signe. Tête basse, elle saisit les mains de sa cousine, les baisa.
— Ne m'en veux pas, Muhavija. J'ai besoin de ton cœur. Bientôt, je serai celle que je dois être.
— Alors que cela ne tarde pas trop. Je fais ce que je peux pour mettre de l'ordre dans ta maisonnée. Mais Barrira n'est plus là pour veiller à ce que les servantes gardent leur langue dans leur bouche. Au moins, tu devrais sortir, reprendre ta place dans la cour. Sinon, qui d'autre que ton époux en recevra les reproches et les moqueries ?
La colère de la cousine Muhavija ne fut pas sans effet. Le lendemain, Khadija fit venir Abdonaï dans sa chambre. Elle lui demanda :
— Comment va mon époux ?
— Il est triste et heureux. Tu connais les raisons de l'un et de l'autre. Elles viennent
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