Khadija
de toi.
— Il va à la mâla ?
— Il fait ce qu'il a à faire, comme à l'ordinaire. Il joue avec son fils, il tient sa place aux entrepôts, il se rend à la Ka'bâ, et partout on le salue comme il doit l'être. À la mâla, les puissants qui sont de retour lui montrent un grand respect. Ils savent qu'ils le doivent. D'un mot, ton époux pourrait leur casser la nuque. Ne t'inquiète pas de la mâla. Il y a bien d'autres choses à faire dans Mekka.
— Tu te trompes, Abdonaï. Je les connais. Ils se font humbles aujourd'hui, mais ils restent des serpents. Le venin leur gonfle la gorge. Bientôt, ils le cracheront. Bientôt, tout redeviendra comme avant la maladie. On oubliera les doigts noirs et les fuyards. Ce qu'il faut apprendre, c'est ce que l'on raconte de mon époux derrière son dos.
— Comment le saurais-je, saïda ? Je garde ta maison. Je garde tes entrepôts, tes enclos. Tout est à remettre en ordre. Le commerce va reprendre. Ceux à qui je parle n'éprouvent que du respect pour mon maître, ton époux. Ceux qui ne lui veulent pas du bien, ce n'est pas dans mon oreille qu'ils viendront distiller leur bile.
Les reproches vibraient trop fort dans le ton d'Abdonaï pour que Khadija puisse les ignorer. Le regardant bien droit dans les yeux, elle murmura avec douceur :
— Je fais ce que je dois faire.
Abdonaï hocha la tête. De sa main valide, il massa son moignon de cuir. L'esquisse d'un sourire se glissa dans la tristesse de son regard.
— Saïda, je te connais depuis trop longtemps pour ignorer que tu ne fais rien sans bonne raison. Barrira n'est plus là pour dire tout le mal qu'elle pense de toi, et je n'ai plus à te défendre. Mais laisse-moi te dire une vérité : ton époux est le plus patient des hommes. Dans la maisonnée, personne n'oublie ce qu'il a fait en nous rejoignant sous les tentes, et tout le monde s'étonne de ton comportement. Sauf lui.
Plus tard le même jour, ce fut Ashemou que Khadija appela dans sa chambre. Elle lui déclara aussitôt :
— Sais-tu ce que la femme qui a tiré ma dernière fille de mon ventre a dit de moi ?
Le ton de Khadija était calme mais dur. Si elle s'en étonna, Ashemou n'en montra rien. Elle baissa la tête. Répondant à sa propre question, Khadija déclara :
— Elle a dit : « N'enfante plus ou tu mourras en emportant le fruit de ton époux. »
Après quoi, elle se tut. Le silence les figea toutes les deux un instant qui parut interminable. Finalement, avec plus de douceur, Khadija indiqua la couche où elle se tenait.
— Viens t'asseoir près de moi, Ashemou de Loin.
Ashemou obéit avant de chuchoter :
— Saïda, si tu penses que tu as eu une fille plutôt qu'un garçon à cause de ce que nous avons fait sur la route d'Arafa...
— J'ignore si je le pense ou pas, l'interrompit Khadija à voix basse. Le hanif a lu dans ses rouleaux que déjà un homme, Ibrahim, a brisé les statues des dieux que fabriquait son père. Et qu'il ne s'est rien passé.
Ashemou approuva d'un signe. Khadija ajouta :
— Cet homme avait une épouse stérile. Stérile, je ne le suis pas, mais il me vient des filles.
— Des filles et Al Qasim.
— Oui.
Elles se turent sans oser se regarder. Puis Khadija saisit le menton d'Ashemou et le tourna vers elle.
— Ce que j'ai à te dire, je veux aussi que tu le comprennes par mes yeux.
Khadija devina que sa douleur et son émotion impressionnaient la jeune esclave. Elle tenta de sourire.
— Ce que j'ai à te dire... Tu le devines ?
Les joues d'Ashemou s'empourprèrent. Bien sûr, qu'elle avait deviné. Khadija lui caressa la joue.
— C'est bien. N'aie pas peur. Tu sais que je t'aime. Qui d'autre, de cette maisonnée, à part toi et mon époux, a dormi dans cette couche près de moi ?
Elle respirait lourdement, comme si elle se livrait à un puissant effort. Ce n'était que rage, colère et désespoir. Enfin, elle parvint à se calmer. D'une voix plus lourde, elle reprit :
— Les dieux t'ont donné une grande beauté de corps et de visage afin que tu apportes la vie et non la mort. Moi, je ne dois pas me plaindre. Al'lat m'a donné dix années de bonheur à l'âge où les femmes cessent d'être des épouses et des amantes. Mais aujourd'hui, c'est fini. Voilà ce qu'a dit la femme de savoir, celle qui tire la vie de nos cuisses : tu n'enfanteras plus. Elle ne prononce pas ces paroles pour rien. Des épouses comme moi, elle en a vu plus d'une. Elle a dit aussi :
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