Khadija
Qasim et ses sœurs pour qu'à leur tour ils viennent saluer leur petit frère.
— Il est impatient de vous retrouver, disait-elle.
Zaynab demandait :
— Comme sais-tu que ce sera notre frère et pas notre sœur ?
— Parce que je le sais, répondait paisiblement Khadija.
Al Qasim se moquait de Zaynab.
— Tu es bête. Bien sûr qu'elle le sait, puisqu'il est dans son ventre !
Un de ces matins, alors qu'il revenait de la Ka'bâ avec son fils, Muhammad découvrit son oncle Abu Talib au milieu de la cour, sous le tamaris, devant Khadija assise sur son tabouret, entourée d'Abdonaï et des serviteurs.
Avant même que Muhammad ne s'approche, son oncle s'inclina profondément, le visage enfoui dans ses paumes.
— Muhammad ! Muhammad ibn `Abdallâh mon neveu... Me pardonneras-tu ?
Et Abu Talib, dans un déluge de mots, raconta comment il avait eu peur de perdre ses épouses, sa maisonnée. Il était allé se cacher à Ta'if, mais là-bas il avait craint la mort noire autant que l'humeur despotique d'Abu Sofyan. Alors il avait formé une caravane pour Yathrib et il s'était tenu là-bas toutes ces lunes, commerçant un peu avec les Juifs, jusqu'à ce qu'un Bédouin lui apprenne que la maladie de Mekka était terminée. Il s'était mis en route sur-le-champ, malgré la grande chaleur qui pesait même sur les chameaux.
— Et quand j'ai vu les fumées de la Ka'bâ depuis la route de Jarûl, oh, mon neveu ! Mon neveu...
La honte et les sanglots le firent taire.
Sur son tabouret, Khadija le fixait sans émotion, la bouche durcie.
Muhammad dit :
— Ce n'est pas à moi que tu as manqué, oncle Abu Talib, mais à mon épouse et à toutes celles qui sont restées dans Mekka pour soutenir la vie contre la mort pendant que tu fuyais.
Abu Talib n'eut pas le temps de répliquer. Ashemou surgit dans la cour en appelant :
— Saïda ! Saïda ! Viens vite !
Elle indiquait la porte d'une resserre vide. Ils s'y précipitèrent tous.
Avant qu'ils ne l'atteignent, ils entendirent Barrira qui hurlait :
— N'approchez pas ! N'approchez pas !
Khadija, les mains sous son ventre, parvint sur le seuil de la resserre après les autres. Barrira, sa vieille Barrira, était accroupie sur le sol, tassée dans un angle, brandissant ses mains.
— Khadjiî ! Khadjiî, ils sont noirs !
Elle ne criait plus. Sa voix était calme. Elle ajouta comme un constat, avec presque de l'indifférence :
— La maladie m'a rattrapée.
Khadija eut un mouvement. Le bras de Muhammad la retint. Il la serra doucement contre lui. Elle l'entendit qui murmurait :
— Non.
Barrira avait deviné le mouvement. Elle croisa le regard de Muhammad et approuva d'un signe.
— Surtout pas, dit-elle. Ne m'approchez surtout pas. Je suis venue dans cette resserre parce qu'elle est vide et que vous pourrez la nettoyer facilement plus tard.
À ces mots, Ashemou gémit. Elle s'agenouilla en larmes aux pieds de Khadija, lui agrippant la main.
D'une voix un peu rauque, un peu essoufflée, Barrira poursuivit :
— C'est ma faute. Je n'ai pas su résister. Cette pauvre fille qui s'est enfoncée une dague dans le ventre, l'autre jour, la veille de sa mort, elle m'avait fait promettre que je prendrais soin de son petit. J'ai promis. J'ai cru que l'enfant n'avait pas encore la maladie. Je lui ai dit : « Je surveillerai ses menottes. On lui passera de l'huile. Il deviendra un beau garçon. » Trop tard. C'était du rêve. Elle lui a tranché la gorge, et moi, tout ce que j'ai pu faire, c'est l'enterrer comme il se doit. Pour que les charognes ne s'en occupent pas.
Barrira se tut, regardant ses mains, les agitant comme si elle y soupesait encore l'enfant.
— Il était si petit. J'ai pensé : quelle force peut avoir la maladie dans un si petit bout d'homme ?
Maintenant les larmes glissaient sur sa joue, pourtant elle eut un drôle de sourire.
— Assez pour tuer une vieille comme moi, apparemment. Tant mieux, tant mieux ! Il faut bien mourir. Qu'une vieille aussi vieille que moi meure pour un enfant, ce n'est pas une injustice. Mais je ne verrai pas ton fils, Khadjiî. Ma fille va enfanter et je ne serai pas là...
Khadija trembla des pieds à la tête. Muhammad la soutint pour qu'elle ne s'effondre pas. Barrira avait prononcé ce mot qui depuis toujours hantait son cœur : ma fille . Cette fille à laquelle elle s'était dévouée chaque instant de sa vie.
— Ce sera un beau garçon, marmonna encore la nourrice,
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