Khadija
« Pour ne pas risquer d'enfanter quand tu ne le dois pas, il n'y a qu'une solution. N'ouvre plus tes cuisses à ton époux. » Elle a dit : « Pour ton bien-aimé, ne sois plus son lit de plaisir. » Voilà le vrai du vrai, fille Ashemou. La mort noire m'a épargnée, mais mon ventre est mort. Alors je te le demande à toi : ne laisse pas mon époux errer dans ce désert de chair. Deviens sa concubine, son plaisir et son ventre. Donne-lui des fils.
— Non...
— Pourquoi non ?
Khadija avait crié. Ashemou se recroquevilla.
— Je ne pourrai pas.
— Tu ne pourras pas ? Il te répugne ?
— Non, non...
— Alors ? À ton âge tu n'as pas encore accueilli un homme entre tes cuisses ? Cela s'apprend...
— Non, ce n'est pas...
— Qu'y a-t-il ? Réponds !
— Saïda ! Je t'aime comme une mère, saïda. Sans toi...
— Et moi, c'est parce que je t'aime comme une fille que je te veux pour lui. Crains-tu ma jalousie ? Tu as raison. Je serai jalouse. Ce sera un fiel pire que de la bile de chamelle. Il me brûlera le cœur. J'aurai mal. Mais pourquoi crois-tu que je me sois enfermée tous ces jours dans cette chambre ? Alors que vous étiez tous dehors à vous demander si je devenais folle ? Mauvaise mère et mauvaise épouse ! Et mauvaise saïda ! Veux-tu savoir ? Je me suis cloîtrée pour piétiner mon orgueil et ma jalousie afin d'être capable de te dire : prends mon époux dans ta couche, Ashemou de Loin, esclave qui compte autant dans mon cœur que mes filles, si cela se peut.
La gorge sèche, les yeux secs et brûlants à la fois, Khadija se tenait agrippée à la tunique d'Ashemou comme si elle allait s'effondrer, se réduire en poussière sur sa couche.
Puis, reprenant son souffle, mordant ses lèvres sèches, elle poursuivit, plus bas et plus calmement :
— Je vais te dire ce que nul ne sait. La première nuit où mon époux est venu dans cette couche, ici, dans cette chambre, apportant son sucre et son lait de chamelle pour le boire entre mes seins et mes cuisses, il m'a dit : « Khadija bint Khowaylid, tant que nous vivrons, tu seras mon unique épouse. Je ne veux ni de seconde ni de troisième épouse, ni de concubine, ni aucune autre que toi, ma bien-aimée. Je le dis devant Al'lat. Qu'elle m'entende et me punisse si j'en décidais autrement. » Voilà ses mots. Mais ce soir, je lui ouvrirai ma chambre. Je me mettrai à genou sur cette couche et je le délivrerai de sa promesse. Je lui dirai : « J'ai prié et parlé aux dieux. Je suis allée devant l'autel d'Al'lat. Je suis allée tourner autour de la Ka'bâ, la nuit, quand chacun dort et que l'on doit demander une faveur que nul autre que la Pierre Noire ne doit entendre. J'ai fait les offrandes. Et l'offrande de moi, s'ils la veulent, je la ferai aussi. »
Toujours accrochée à Ashemou, Khadija avait plié la nuque. À peine audibles, les mots sortaient de sa bouche comme des pierres lui brisant les dents. Tremblante, elle laissa passer un peu de temps, puis enfin elle se redressa, ses mains lâchant brusquement la tunique pour saisir la nuque d'Ashemou.
— Fille, ne m'humilie pas en refusant cette beauté d'homme que je t'offre ! Je ne pourrai supporter qu'il te prenne que parce que je saurai qu'il jouira de ta beauté comme d'un don de moi. Tu n'as plus vingt années, mais trente. Ta beauté aussi va s'envoler, Ashemou. Laisse mon époux la cueillir et en tirer le fruit avant qu'elle se flétrisse, comme tout ce qui appartient au temps.
— Saïda...
— Non, je ne veux pas t'écouter. Je sais lire le désir dans tes yeux comme dans les yeux de toutes les femmes. Et je sais pourquoi, durant tout ce temps dans ma maison, tu n'as pas pris d'homme. Toi, la plus belle d'entre toutes celles qui vivent ici, moi y compris. Je ne suis pas aveugle. Entre nous, ni honte, ni crainte, ni mensonge. Ainsi sommes-nous faites. Si mon époux était venu, un soir de ces dernières années, dans ta chambre pour te prendre comme il en avait le droit, lui, le maître, sur toi, l'esclave, l'aurais-tu repoussé ? Non. Mais tu as su te tenir en retrait. Et ne pas me faire honte avec ta beauté. L'heure est venue de ta récompense. Demain, tu seras une femme libre. La concubine de mon époux ne peut pas être une esclave. Le cousin Waraqà viendra l'écrire dans son rouleau de mémoire : l'esclave Ashemou, achetée sur le marché de Mekka il y a plus de dix années par la saïda bint Khowaylid, est une femme
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