Kommandos de femmes
alentours immédiats étaient complètement rasés. Au premier abord nous ne vîmes pas l’usine, elle était entièrement camouflée par des sapins artificiels et des filets. De plus, elle était ceinturée d’un réseau de fils de fer barbelés électrifiés. Notre colonne pénétra à l’intérieur par une porte à glissière gardée par des sentinelles armées. Immédiatement, les S.S. nous alignèrent et les contremaîtres vinrent faire la réception de leur arrivage humain.
— Lorsque xlv les mille femmes arrivèrent, il fallut les affecter chacune à un travail dépendant d’un des trois grands services de l’usine : Neuenmontage xlvi , Rückmontage xlvii , Fertigmontage xlviii . Dans la salle de Neuenmontage, on construisait de vrais moteurs avec des pièces neuves. Ce service, qui employait des Russes et des Polonaises, ne fonctionna qu’au ralenti et dut s’arrêter très rapidement. Le Rückmontage, dont je faisais partie, devait démonter complètement tous les vieux moteurs avariés des avions abattus ou accidentés et les remonter. Le Fertigmontage vérifiait la correction du travail, retouchait quelques détails et se chargeait de l’expédition. Les femmes affectées à ce service, peu nombreuses, étaient en majorité allemandes, les autres polonaises. Le premier jour fut employé à des rangements et à la mise en train de tout ce colossal matériel.
Le lendemain matin seulement, en revenant des baraquements du camp, je devais avoir un aperçu de ce que serait ce travail qui devait s’effectuer à la chaîne. Mais, les machines permettant l’automatisme de ce fonctionnement (c’est-à-dire le transport des moteurs de proche en proche devant chaque ouvrière) n’étant pas remises en état, il fallut pousser les moteurs pendant plus d’un mois. Le circuit des moteurs occupait tout le grand hall central du bâtiment ; il s’agissait d’adapter deux groupes de moteurs entièrement montés par nos soins à la carcasse définitive. Au centre du hall se trouvait une petite chaîne à laquelle j’étais affectée où se montait chaque groupe de moteurs. Cette petite chaîne comprenait environ une vingtaine de femmes, polonaises et françaises, formant un tout homogène, une sorte de petite usine dans la grande. Meister Hermann, un chef spécialisé, venant chaque matin de Berlin, était le grand responsable du secteur. Nous ne recevions nos ordres que de lui et ne pouvions quitter le travail qu’à son signal ; aussi nous arriva-t-il très souvent de faire des heures supplémentaires et de ne partir que longtemps après les camarades. Au début, Hermann sema la panique dans nos rangs. C’était un Allemand d’une quarantaine d’années, gros et gras, ne souriant jamais, revêtu d’une longue blouse grise, chaussé de bottes volumineuses qui lui avaient valu le surnom de « moujick » . Le premier jour, il nous accueillit sèchement, montra à chacune le travail qu’elle aurait à exécuter, puis ne mit plus la main à la pâte, se contentant de marcher de long en large, le torse bombé, la tête haute parmi les femmes dont il devait assumer la surveillance. Il ne permettait aucun laisser-aller et exigeait un rendement maximum et régulier. Si l’une de nous se trompait ou produisait quelque retard dans la marche de la chaîne, il s’emportait violemment et poussait des cris qui retentissaient dans tout le hall. Je pense que ce devait être le type même du nazi à l’âme étroite, exécutant à la lettre tous les ordres reçus avec un consciencieux aveuglement, ne discutant jamais aucune indication de travail reçue de ses supérieurs, n’imaginant même pas que l’on puisse ne pas exécuter immédiatement et fidèlement toutes les instructions. Au cours des mois qui suivirent, les sentiments que j’éprouvais tout d’abord pour Hermann évoluèrent un peu en sa faveur. Au cours des premières semaines, je le haïssais cordialement, employant le cours de mes rêveries à imaginer pour lui mille supplices raffinés que je mettrais à exécution lorsque tout serait fini. Mais pourtant, peu à peu, je m’aperçus qu’il n’était pas foncièrement méchant, mais un instrument aveugle dans les mains d’autres misérables. Un jour, il eut une altercation avec une Aufseherin. C’était une jeune fille d’une vingtaine d’années qui, manifestement, ne comprenait rien au montage ; elle voulut brutalement donner des conseils ; Hermann, froidement, la pria de ne pas
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