Kommandos de femmes
sortir de ses prérogatives. Dès qu’elle eut le dos tourné, il n’eut pas le temps de nous dérober un regard chargé de profond mépris à son adresse. Je commençais à haïr moins fort Hermann. Son attitude nous confirma qu’il était dur avec nous uniquement par peur d’avoir des ennuis avec la direction… Hermann exigea le maximum de notre pauvre corps usé à la peine. Il ne nous accabla jamais de sarcasmes ou de brimades et se contenta de suivre à la lettre un règlement draconien.
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— Arrivées xlix à six heures du matin, nous quittions l’usine à sept heures le soir, souvent plus tard. Nous nous traînions pour subir l’heure de marche qui nous séparait du camp. Là, nous avions encore un appel, puis distribution de la soupe de rutabagas desséchés et une portion congrue de pain. Nous étions restées sans rien manger depuis le matin. Accablées de fatigue, dégoûtantes, nous nous hâtions de nous rafraîchir bien sommairement puisque nous n’avions pas de savon. Et nous gagnions nos lits ou plutôt nos perchoirs. J’y retrouvais enfin Micheline et c’était les seuls moments où nous nous réunissions. L’appel du matin était à quatre heures ; nous en avions parfois au milieu de la nuit. Chaque soir, les Aufseherinnen contrôlaient des lits, soulevaient notre maigre couverture partagée à deux pour examiner si nous étions bien, selon le règlement, entièrement dévêtues. Pendant un mois et demi nous avons vécu cette vie. Nous changions à vue d’œil. À ce moment-là les dirigeants de l’usine voyant leur bétail humain dépérir prirent la décision de transférer les détenues dans l’usine même. En dehors des heures de travail, il nous fallut effectuer notre déménagement, démonter et remonter les châlits. Nous fûmes tout particulièrement battues pendant ce transbordement. Une partie des prisonnières fut logée dans les sous-sols et l’autre dont nous faisions partie avec Micheline dans l’ancien réfectoire plus ou moins démoli, sale, et surtout très froid.
— Les Allemands exigeaient de plus en plus de rendement. Par ce travail à la chaîne, nous étions obligées de suivre leur rythme. J’étais absolument éreintée. Nous recevions alors du pain le midi que tant bien que mal nous mangions debout. Mes pieds baignaient continuellement dans l’huile, mes galoches ne tenaient plus. J’avais les mains brûlées et crevassées par l’huile synthétique. Elle me coulait directement du moteur sur le corps. J’en étais inondée et glacée.
— Je devenais de moins en moins résistante et chaque jour je me sentais flancher davantage. J’étais à bout de forces, les dernières semaines je me traînais, courbée. J’avais la dysenterie continuellement. Je fis une courte halte de quinze jours au revier et je repartis au travail avec 35,5, soutenue par deux de mes compagnes. J’allais toujours de plus en plus mal. Les Allemands voyant que j’étais incapable de fournir le taux de rendement exigé me changèrent de travail. Je marchais et je travaillais comme une automate jusqu’au jour où je sentis mon côté gauche se refroidir et devenir complètement raide. Je fis prévenir le contremaître par une de mes camarades. Il ordonna à l’Aufseherin de m’évacuer au revier. Je dus attendre dans un sous-sol glacé l’heure d’un départ. J’étais complètement paralysée et les Allemands durent me mettre sur un chariot pour accomplir le trajet de l’usine au revier. Un peu avant de quitter l’usine, je fus prise d’une toux rauque accompagnée de crachements de sang. Croyant ma dernière heure venue, j’avertis ma sœur et je lui dis qu’il ne fallait plus compter me revoir. J’avais très mal au côté et j’étais baignée de sueur. Le froid me pénétrait de toutes parts, j’étais littéralement glacée. Arrivée au revier on me laisse pendant deux ou trois heures, dans le couloir, au milieu d’un courant d’air. Incapable de me mouvoir on m’oblige malgré tout à me lever. Enfin un châlit me fut désigné et je le partageais avec une Polonaise probablement atteinte de typhoïde.
— Pendant plusieurs jours je fus entre la vie et la mort. Je ne pouvais pas rester sur le dos ni sur le côté et je vomissais continuellement du sang, parfois des bols entiers. Un simple courant d’air suffisait pour déclencher une série de crachements. Durant plusieurs semaines, ma température stationna à 40. Toutes les malades autour de
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