Kommandos de femmes
moi me considéraient comme perdue. J’étais soignée par les deux infirmières du revier, une Russe et une Polonaise. Quand le médecin allemand passa, il me regarda à peine et me désigna pour le prochain convoi pour Ravensbrück et la chambre à gaz. Mais les communications ferroviaires avaient été coupées par les bombardements.
— Peu à peu, avec le repos, la fièvre diminua et je pus commencer à me lever un peu. Nous étions un groupe de sept ou huit femmes françaises tuberculeuses ; parmi elles se trouvait une petite Ginette de dix-huit ans qui ne parvenait plus à manger seule. Avec une compagne nous nous efforcions de la nourrir à la cuillère. Un matin, on la trouva inanimée sur sa couche. Immédiatement elle fut transportée dans la chambre des morts. Quelques heures après j’entendis murmurer faiblement mon nom. Je prêtai attention et je m’aperçus que la voix venait de la morgue. Violant toutes les interdictions, nous décidâmes avec ma camarade d’aller la voir. Ginette, raide comme un cadavre, nous fixait et nous appelait par nos noms. Elle murmurait : « J’ai faim, j’ai soif. » Nous réussîmes à lui donner quelques gouttes d’eau qu’elle suçait au bout de la cuillère. Une Allemande nous dénonça à la chef du block et nous fûmes obligées de la quitter. L’infirmière, malgré l’interdiction formelle des Allemands, la veilla encore pendant vingt-quatre heures. Elle mourut en appelant sa mère. Cette même infirmière était d’un dévouement à toute épreuve. C’était une Russe et elle risquait sa vie. Elle essayait par tous les moyens d’adoucir nos souffrances et l’agonie des mourantes.
— À l’attitude agitée de nos geôliers, nous nous doutions de la rapidité de l’avance russe. Ils avaient des têtes consternées et ils étaient d’une humeur massacrante. Nous nous réjouissions de tous ces symptômes favorables et je repris l’espoir de rentrer chez moi.
— Un soir, le 15 avril, une Aufseherin passa dans le revier en ordonnant de nous habiller toutes pour partir en transport. Nous comprîmes qu’en fait c’était le début de la débâcle et de la retraite. Nous passâmes toute la nuit dans l’attente d’un départ. Au petit jour, les Allemands nous firent sortir du block à la hâte et nous entassèrent sur des chariots. À l’usine régnait une ambiance de relâchement. Les femmes faisaient un peu ce qu’elles voulaient et les Allemands couraient en gesticulant. Parmi nous, le bruit de l’avance alliée circulait. J’avais retrouvé, avec une joie immense, Micheline. Nous sommes tombées dans les bras l’une de l’autre en pleurant. J’allais de camarade en camarade, heureuse de les revoir.
— Toutes étaient stupéfaites de me retrouver vivante. On leur avait annoncé maintes fois mon décès. Ma sœur, en peu de mots, me mit au courant de ce qui s’était passé à l’usine après mon départ. La vie des derniers mois avait été des plus dures. À chaque appel, vingt-cinq à quarante femmes s’évanouissaient d’épuisement. Les Allemands les faisaient se relever à coups de bottes et les faisaient mordre par les chiens. Ma sœur me dit aussi qu’en me voyant partir de l’usine, elle avait pris la décision de refuser de travailler et que plusieurs compagnes avaient suivi son exemple. Les Allemands les avaient rouées de coups et, à partir de ce moment, elles avaient eu un traitement spécial, notamment le matin elles restaient aux appels dans la neige.
— Je ne pus m’entretenir que peu de temps avec Micheline car il y avait un appel général suivi de distribution de soupe et de pain pour la route. Ma sœur dut rejoindre les valides et moi les malades. Les plus souffrantes étaient entassées sur des chariots. Je me sentis assez forte pour marcher à pied derrière. Je n’avais plus de chaussures et j’étais toujours pieds nus. Notre longue colonne de femmes en guenilles s’ébranla, tournant le dos à l’avance russe. Nous étions toujours encadrées de S.S. et d’Aufseherinnen. Tout le long de la route, nous essayâmes de cueillir quelques pissenlits pour prolonger nos vivres. Un moment donné n’en pouvant plus, je m’appuyai sur le bord du chariot pour m’aider à marcher. Une Aufseherin qui m’avait aperçue vint me faire lâcher prise à coups de pied. Pendant quelques kilomètres je restai en arrière, je crus un moment que je n’arriverais pas à rattraper la colonne.
— Après
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