Kommandos de femmes
bien chaude qui provoquait la transpiration. J’allumai un feu et préparai, comme l’aurait fait ma mère, un breuvage qui nous fit grand bien à tous les deux. Que faire à présent ? S’en aller ? Mais où ? Les Allemands reviendraient-ils me chercher ? De toute façon Jurin n’était pas en état de marcher. Il s’était rendormi et de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. Je les essuyai tout doucement pour ne pas le réveiller. Silencieusement, je commençai à mettre un peu d’ordre dans la pièce ; il fallait aussi songer à préparer un repas. Je fus interrompue par trois coups légers frappés à la porte. Comme j’hésitais à ouvrir, les coups se répétèrent à intervalles réguliers, et je me dis que c’était sûrement un signal. J’entrebâillai la porte et j’aperçus un homme que je ne connaissais pas. Il s’étonna de me trouver seule. Sans prononcer une parole, j’étendis la main en direction des monticules de terre. L’homme resta muet pendant quelques secondes, puis il se mit à proférer des injures et des menaces à l’égard de nos ennemis. Le bruit de nos voix avait réveillé Jurin qui m’appela. L’inconnu me suivit et j’appris qu’il venait chercher les vivres que mon père tenait en réserve pour les résistants cachés dans le bois. Les deux hommes tinrent conseil pendant que je rassemblai des provisions. Il fut décidé que quelqu’un viendrait nous chercher, la nuit tombée, pour nous conduire au refuge des partisans. Nous aurions mieux fait de nous en aller sur-le-champ car, vers le soir, une ambulance s’arrêta devant notre porte, deux soldats en descendirent. Ils tenaient en main des bidons. Sans doute voulaient-ils de l’eau pour leur voiture ? Il était trop tard pour nous cacher car ils m’avaient aperçue par la fenêtre ; force me fut donc de leur ouvrir la porte. À la vue de Jurin, un des soldats – il portait un brassard blanc – nous regarda attentivement l’un après l’autre et nous posa un tas de questions. Comme nous ne comprenions absolument rien, nous gardâmes le silence. Les soldats saisirent alors Jurin avec son matelas, le portèrent jusqu’à l’ambulance et le glissèrent à l’intérieur. Je pris le même chemin et la portière se referma sur nous. En posant ma tête contre l’épaule de mon frère, je pleurai. Le voyage prit fin devant un hôpital militaire bourré de blessés. Jurin, sur son grabat, fut déposé à même le sol, dans un couloir. Je restai près de lui pour le soigner et je mis beaucoup de bonne volonté à rendre aussi service aux autres. Je reçus des vêtements propres et suffisamment à manger. Pour dormir, j’étais enfermée avec cinq femmes russes, dans une petite chambre. Quelques jours après notre arrivée, un matin, Jurin avait disparu. On m’interrogea mais qu’aurais-je pu dire, puisque je ne savais rien. Rien ne changea pour moi ; dans cet hôpital, toutes les mains capables de travailler étaient les bienvenues. J’y ai vu une foule de grands blessés ; certains n’avaient plus de mains ou plus de bras, d’autres avaient les membres inférieurs arrachés, beaucoup avaient les orteils ou pieds gelés. Ceux qu’on transportait à l’arrière étaient vite remplacés par de nouveaux arrivants. Lorsque les troupes allemandes se replièrent, nous les femmes russes fûmes expédiées au camp d’Auschwitz. Nous y débarquâmes la nuit, sous la conduite d’un soldat qui se montra très bon envers nous. Il nous accompagna jusqu’à la porte du camp et nous confia à des femmes, en habit rayé. Au bout de quelques jours, on nous dirigea sur Ravensbrück où nous restâmes environ deux semaines avant d’être amenées ici, à Oranienburg. »
— Maintenant que je connaissais le tragique destin de Juanka, je n’eus d’autre désir que de lui rendre confiance et espoir. Je cherchai à atteindre son âme. Je lui parlai de Dieu, de la création, de Jésus notre Sauveur. Jamais élève ne se montra plus attentive et intéressée. Le jour où nous fîmes ensemble la première prière pour ses chers disparus, elle se réjouit comme un enfant.
— Peu avant Noël, notre route fut terminée. Noël ! Une bise glaciale soufflait sur la fine couche de neige qui recouvrait maintenant le camp. Seule, la Havel était restée la même. Nous rêvions de liberté en suivant du regard les lourdes péniches. Le jour de la libération, Juanka et moi nous nous sommes embrassées
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