Kommandos de femmes
longuement en pleurant. Elle est partie vers la Russie, moi vers la France. Qu’est devenue Juanka, ma petite Juanka ?…
IX
HOLLEISCHEN
— Holleischen li est un petit village des Sudètes. Nous y débarquâmes un jour d’avril, venant de Ravensbrück. Notre camp était installé dans une vieille ferme, assez loin du village, à l’orée d’une splendide forêt de pins sylvestres. C’est sous ces beaux arbres qu’était l’usine de munitions du groupe Skoda à laquelle nous étions destinées. Une série d’ateliers, de bâtiments souvent semblables, aux cabanes de trappeurs du Canada. La demi-heure de marche qui nous menait du camp à nos ateliers respectifs, était la détente de la journée. À l’aube ou au coucher du soleil, les troncs droits des pins flamboyaient comme du cuivre rouge et la route de l’usine semblait, entre les arbres, s’enfoncer, royale, vers quelque château de conte de fées. Nous n’avions pas assez d’yeux, pas assez de temps pour nous repaître de la vue des aubépines, des grappes de lupins, des écureuils ou des biches qui traversaient la route à cinquante mètres devant notre lente et lourde colonne.
— Ici lii on l’appelle Edmond, le commandant. Va pour Edmond…
Accompagné d’un très haut et large Feldwebel que nos compagnes nous ont désigné sous le nom de Totoche, Edmond nous passe en revue, avec beaucoup d’attention et de solennité. Puis il s’éloigne de quelques pas et éclate brusquement :
— Ah ! Ah ! Ah !
Quel rire d’ogre ! Pourquoi rit-il ? Est-ce de nous qu’il rit ? Sans doute…
Un signe, Else accourt. Le commandant lui parle et à son tour, elle rit. Elle s’étouffe dans son mouchoir – bleu – et finalement traduit :
— Le commandant s’amuse beaucoup devant la longueur de vos robes. Il vous demande de les raccourcir. Chacune de vous aura deux aiguillées de fil pour refaire un ourlet.
La longueur de nos robes ? Oui, c’est vrai… Nous ne prêtons plus attention à ce genre de choses… Nos robes vont jusque sur nos pieds ! Nous avons l’air de vrais moines !
Le commandant choisit, dans les fagots alignés contre le mur, quelques branches bien droites mesurant à peu près trente-cinq centimètres. Il les compare, en élimine plusieurs et finalement n’en conserve qu’une.
— Voilà, commente Else, sans rire. Il faudra cette distance de votre ourlet jusqu’au sol. Le commandant vérifiera.
Un éclat de rire court du haut en bas de nos rangs.
Edmond fronce le sourcil, grimaçant crie :
— Fertig !
Venant d’Else, ce conseil à mi-voix :
— Attention, il n’est plus de bonne humeur, maintenant.
*
* *
L’équipe liii où Pérégrine et moi nous trouvions arriva bientôt à un bâtiment cerné d’un haut grillage barbelé surplombé à chaque extrémité par un mirador où se tenait une sentinelle armée. Nous attendîmes ; à l’intérieur des barbelés parut un grouillement de robes rayées et nos camarades, le visage plombé, les traits tirés, sortirent encadrées de soldats et de surveillantes qui humaient l’air frais d’un air goulu.
Notre équipe s’engouffra dans le bâtiment, où un contremaître allemand borgne, qui hurlait des schnell ! réitérés, s’empara de nous et, maniant chaque détenue comme un paquet, lui attribua une place dans les différentes salles du bâtiment. Le crépuscule tombait, et les Aufseherinnen firent obturer les fenêtres avec du contre-plaqué peint en noir que leur désigna le borgne, pour la défense passive.
Le bâtiment, long de quarante mètres environ, se composait d’un couloir allant d’un bout à l’autre, maculé de poudre noire, et sur lequel s’ouvraient toutes les pièces par des portes vitrées.
Un détail sautait aux yeux ; les murs séparant les pièces entre elles étaient percés à une même distance du sol par un trou carré identique où passait un chemin de fer tenu en l’air grâce à des traverses boulonnées à des appuis vissés au sol.
Le contremaître borgne me mit avec quelques autres dans la seconde salle et nous expliqua notre tâche : peser la poudre à l’aide de trébuchets de laboratoire. Nous nous mîmes à manipuler avec répugnance la spatule à poudre dévolue à chaque caissette de poudre devant chaque balance. Il fallait s’y mettre, et je pesai ma première charge de poudre allemande, puis la vidai dans une coupelle vacante dont une pile était posée devant moi à cet effet.
Le
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