Kommandos de femmes
borgne, nous ayant quittées pour se rendre dans la première salle, je regardai par l’orifice du mur et le vis encore qui montrait leur travail à nos voisines de la pièce un : enfoncer à coups de marteau douze douilles de cartouches (calibre D.C.A.) dans les douze trous d’un socle d’acier lui-même posé sur un chariot de fonte à roulettes. Ceci se faisait sur une plate-forme métallique d’où partaient les rails. Le borgne fit glisser jusqu’aux rails le chariot chargé puis, d’une poussée calculée, l’envoya rouler dans la salle deux, où nous étions.
En même temps qu’arrivait le chariot chez nous, le contremaître vint prendre sur notre table un chargeur automatique à douze versoirs que nous n’avions pas encore remarqué, y déposa soigneusement autant de doses de poudre en nous engageant à en peser d’autres, alla au chariot qui stationnait sur les rails, y posa le chargeur en faisant soigneusement coïncider les versoirs avec les orifices des douilles, poussa la poignée servant de ressort, secoua pour faire tomber la totalité de la poudre, releva le chargeur en poussant le chariot, l’envoya rouler dans la salle trois.
Là se trouvait, traversée par les rails et fermée d’une épaisse porte blindée aux endroits où ils entraient et sortaient, une sorte d’énorme armoire en maçonnerie allant du plafond au sol, et qui contenait la presse.
Sur une paroi de la maçonnerie, le borgne poussa un bouton en déclenchant ainsi un ronronnement continu et puissant, surveilla l’aiguille d’un cadran, et pesa sur un levier qui fit basculer la lourde porte, ce qui libéra un ronflement assourdissant et fit apparaître une machine impressionnante partant du plafond, plongeant dans le sous-sol, aux aciers luisants d’huile échauffée, et dont des pièces étaient agitées d’une rotation bruyante. Étendant son bras, muni d’une longue barre de fer, le borgne poussa le chariot au milieu de la machine, sur une plate-forme où un crochet le mordit entre ses roulettes et le maintint immobile.
Alors le contremaître appuya sur un second levier et douze compresseurs descendirent avec une lenteur terrible dans les douze cartouches. Le borgne guettait une ampoule rouge qui s’alluma bientôt, il lâcha le levier, les compresseurs remontèrent les cartouches et le contremaître, à l’aide d’un genre de tisonnier, décrocha le chariot qu’il envoya dans la pièce trois.
— La prochaine fois et les suivantes, abaissez les portes, dit Maria qui suivait le borgne partout pour traduire ses explications. Cette fois, c’était pour montrer le fonctionnement de la presse.
Un autre chariot déboucha dans notre salle deux, puis un second, puis un troisième.
— Combien y en a-t-il donc ? fis-je à Odette, qui m’appelait de la salle par l’orifice de communication et recommandait qu’on ne les envoyât pas trop vite à la salle trois.
— Seize chariots. N’a-qu’un-œil veut qu’ils circulent le plus vite possible. C’est le contraire qu’il faut. Essayez de faire passer la consigne aux autres salles. Dites-le par le trou…
Au bout d’un moment, le borgne eût expliqué leur tâche à toutes les détenues ; aussi Maria, volubile détenue interprète, reçut-elle du contremaître surnommé N’à-qu’un-œil par tout le kommando, l’ordre de parcourir à nouveau les salles afin de réitérer les précisions données par lui. Quand Maria fut dans notre pièce :
— Qu’y a-t-il après la salle trois ? demandâmes-nous.
— Eh bien, la salle quatre où on pèse des doses d’une poudre et où l’on recharge une seconde fois les douilles, comme ici, sauf que la poudre que vous pesez est noire alors que dans la salle quatre elle est blanche.
— Et ensuite ?
— La salle cinq, où on introduit une bague d’aluminium dans chaque douille, la salle six où on represse le tout, parce qu’il serait trop dangereux de tout presser en une seule fois. Puis la salle sept où on enlève les douilles pleines des chariots, la sale huit où on nettoie les chariots avec un pinceau trempé dans de l’acétone, pour dissoudre les moindres parcelles de poudre. Ensuite ? Comment vous dire ? De cette salle, les rails plongent en rampe inclinée dans le sous-sol, le parcourent dans toute sa longueur et vont remonter à la salle un, d’où le circuit recommence. Et seize chariots qui défilent sans arrêt sur ces rails sans fin… Et le borgne qui braille si les chariots ne
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