Kommandos de femmes
en buvant une infusion qui sentait le miel et que maman préparait avec des plantes que nous cherchions ensemble dans la forêt. Ces hommes détestaient les Allemands qu’ils traitaient d’assassins. Un soir, ils apportèrent à mon père un poste télégraphique et lui apprirent à s’en servir. Il devait signaler tous les mouvements sur la route que nous pouvions observer de la maison. C’est à cause de cet appareil que nous fûmes tous fusillés. Cela se passa si vite que nous n’eûmes pas le temps de comprendre. Nous vîmes deux soldats allemands et deux prisonniers russes s’approcher de notre maison. Les soldats nous crièrent de sortir. Ils ouvrirent immédiatement le feu sur nous. Je tombai avec ma mère qui m’avait enlacée. J’entendis l’ordre donné aux Russes en notre langue : « Faites vite ! dans un quart d’heure ils doivent avoir disparu. » Les deux prisonniers se mirent alors à creuser un trou à quelques mètres de nous. Je compris en un éclair que ce trou allait devenir notre tombe et d’un saut, je me relevai et bondis vers la maison. Mon père avait aménagé sous l’escalier un petit réduit auquel on accédait par une trappe. J’eus le temps de m’y faufiler et de refermer la porte sur moi. J’entendis courir, appeler, crier, déplacer des meubles, mais je ne bougeai pas. Je passai ainsi des heures angoissantes puis, tout étant calme, je me hasardai à sortir de ma cachette. Dans le crépuscule du soir, je distinguai la table renversée et la litière déchirée, car le lit était retourné et le banc jeté en travers. Je grimpai sur le lit pour dégager la porte du placard à provisions que maman avait installé là, dans le mur. Je ne pus m’empêcher de pleurer quand ma main rencontra la montre de papa. Elle marchait encore ; je la glissai dans mon corsage. Tout en laissant couler mes larmes, je mangeai un peu de pain et de la viande séchée. Je me risquai ensuite à sortir, en passant devant l’étable ouverte et vide, je me glissai vers l’endroit où s’était déroulé le drame. Les corps étaient à peine recouverts de terre, et çà et là dépassait un bout de botte ou de vêtement. À cette vue, le désespoir m’envahit et je me laissai tomber à terre, à côté de mes morts. Je ne sais combien de temps je restai ainsi, anéantie, quand il me sembla entendre un gémissement. Je retins mon souffle pour mieux écouter, et bientôt j’eus la certitude que quelqu’un vivait encore. La terre vola sous mes doigts ; le premier corps que je dégageai était celui de mon plus jeune frère. Il était mort. Tout en balbutiant des paroles incohérentes, je continuais à tirer sur les membres. C’était maintenant ma pauvre maman que je traînai de côté pour atteindre ces plaintes qui revenaient sans cesse. C’était mon frère aîné, Jurin, qui était enterré vivant. Je l’aidai à se relever et le portai presque à la maison. J’allumai la lampe à huile et je regardai mon frère. Il avait le visage gonflé et livide, souillé de sang et de terre. Je découvris une plaie profonde sous son bras gauche. Je lui fis boire un peu de vodka et me mis en devoir de panser sa blessure de mon mieux. Quand il fut enfin soigné, nettoyé, il me demanda de retourner à la fosse pour voir si les autres étaient vraiment morts. Mon cœur battait à se rompre pendant que je m’acharnais à déterrer papa que je trouvai déjà raide, le regard fixe et froid. Je lui abaissai les paupières et j’avais maintenant la certitude que seul Jurin et moi avions échappé au massacre ; du moins je n’étais plus seule. Je fis appel à toute ma volonté pour remettre mes chers morts dans ce trou glacé et les recouvris ensuite de terre et de branchages. C’était un travail terrible. Le jour commençait déjà à poindre lorsque j’eus fini, complètement épuisée. Je retrouvai mon frère très paisible. Dormait-il ou avait-il perdu connaissance ? Je ne sais. Après avoir soigneusement verrouillé la porte, je m’allongeai près de lui et m’endormis. À mon réveil je constatai que la montre de papa s’était arrêtée, je ne sais combien d’heures j’avais dormi. Chaque muscle de mon corps me faisait mal et un lourd chagrin oppressait ma poitrine. La pensée que Jurin avait besoin de moi me rendit courage. Dans ses yeux grands ouverts, la fièvre brillait et son corps brûlait. Je me rappelai que maman guérissait tous nos maux en nous faisant absorber une tisane
Weitere Kostenlose Bücher