Kommandos de femmes
soupe, nous allâmes faire remplir nos « schuselles », mais au lieu de dévorer comme à l’accoutumée, chacune posa son écuelle à sa place et tout le monde se réunit devant la porte par laquelle nous entrions. Je montais sur une espèce de planche qui était là (quand j’y pense, aujourd’hui, cela m’apparaît comme une somptueuse estrade) et demandais la minute de silence « pour les combattants morts – pour les résistants exécutés – pour tous ceux qui continuaient la lutte ». À l’heure de la soupe, il ne restait guère que deux ou trois Aufseherinnen. Les surveillantes tchèques prenaient leur casse-croûte à la cantine. Devant cette soixantaine de femmes muettes et au garde-à-vous, une infernale stupeur mêlée d’épouvante saisit visiblement nos gardiennes. Elles disparurent pour revenir quelques minutes après avec les posten qu’elles avaient tirés des miradors et qui entrèrent en courant, fusil en avant, dans l’usine. Mais la minute de silence était finie – chacune avait repris écuelle et cuiller. Les soldats regardèrent les bonnes femmes. Ni eux, ni elles ne comprenaient.
Il n’y eut certainement aucun rapport au camp. Les braves femmes S.S. s’étaient montré lâches, les soldats n’auraient jamais dû quitter leur tour de guet. Comme vraisemblablement ce ne serait pas les « stücks » qui raconteraient l’histoire au commandant, à quoi bon lui en parler. Il n’y a pas de craintes ni de désobéissance dans les rangs S.S. n’est-ce pas ?
Le troisième exercice dont je me souvienne avec un certain plaisir est celui du zèle. Cela aurait pu être le plus dangereux. Ce dimanche après-midi était glacial et gris et semblait devoir se terminer sans l’exercice imprévu qui marquait les dimanches où nous ne travaillions pas. Mais l’ober en avait décidé autrement. « En bas », « appel ». Gesticulations et hurlements des blockowas, et nous voilà toutes réunies dans la cour. Discours tonitruant dont la signification était : « Vous défilez comme des cochons, vous allez faire une répétition, kommando par kommando, deux tours de cour. » Et le défilé commence. « Gauche-gauche », on gelait sur place. Notre kommando attendait, attendait toujours. Un des interprètes demanda quand nous serions autorisées à faire notre tour de piste. Réponse : « Les Françaises sont les plus sales, les plus désordonnées en rang. Celui-là où il n’y a que des Françaises doit d’abord regarder les autres et passera en dernier. » Bien sûr, il fallait un dernier. Mais la colère vint sainement réchauffer nos pieds, nos dos, nos pauvres corps affreux et le mot d’ordre passa de rang en rang. Un : nous défilerions impeccablement. Deux : nous ne nous arrêterions pas. Quand, en effet, il ne resta plus que nous, l’ordre de marche partit. Nous avions l’impression de défiler sur les Champs-Élysées. Nous étions droites, braves, impeccables. N’ayant pas trouvé sur qui cogner, l’ober ordonna la rentrée au block. D’aileurs, visiblement, ces dames n’avaient pas chaud non plus et tout l’état-major de l’ober était au complet. En dépit du gueulement de la fin du cirque, la tête de colonne passa devant la porte ouverte et le troisième tour commença. Il y eut du flottement parmi nos spectatrices. Ces idiotes n’avaient pas compris. Vociférations accrues quand les premières arrivent de nouveau devant la porte et… passent, la troupe continue.
Non, même ces idiotes ont compris, seulement elles crânent ; l’ober se précipite et les autres suivent, mais se fourrent toutes devant la porte. Celles qui l’ont déjà dépassée continuent ; celles qui ont la malchance d’arriver en même temps que les S.S. sont jetées à l’intérieur, mais celles qui suivent continuent aussi, en essayant de garder le pas. Évidemment cela se termina comme une chasse. Quand, à force de coups de poings et bottes nous fûmes enfermées – à clef – nous nous avouâmes que nous avions eu peur que l’ober se mit à tirer. Elle était hystérique. Mais les bleus et les bosses résultant de cette parade ne nous enlevaient pas l’impression d’une victoire.
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Quelle lv race de crétins ! Nous, presque toutes des résistantes, nous faire fabriquer des munitions ! Je suis installée devant une table, et devant moi un godet rempli de laque. On aurait cru du rouge à ongles. Le contremaître m’a bien
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