Kommandos de femmes
l’aspect d’une partie de plaisir. Nous nous cramponnions, par exemple, à trois après les douilles de la machine pour la bloquer, et les grimaces que nous faisions sous l’effort nous donnaient un irrépressible fou-rire. Les machines se mirent bientôt à tacoter, je me souviens que la mienne s’arrêta cent quarante-cinq fois dans une nuit, ce qui me permit de faire moins de mille cartouches. La rieuse Marie-Claude, âgée de dix-neuf ans, qui contrôlait avec moi, écrivit à la craie sur la machine, dans un élan d’enthousiasme : « 145 fois kapout ! » et se fit vertement rappeler à l’ordre. Schreier reçut une engueulade monstre et, malheureusement, répara les machines pour quelque temps.
Combien de fois, en nettoyant, l’une ou l’autre versa rageusement les balayures dans la poudre ! Combien de fois garnit-elle le fond d’une cartouche d’huile souillée, d’eau ou d’autres trouvailles !
Lorsque la presse, assez fragile, de la machine de tête se brisait, ce qui demandait une demi-heure de réparation au moins, et que celle d’entre nous qui y travaillait allait, en traînant la galoche, prévenir le mécanicien d’un air désolé et faussement innocent, c’était la joie d’une bonne farce dans toute la salle des machines. Nous avions chacune notre petit truc pour provoquer un accident. Celui de Tania et de Guisy consistait à mettre un morceau de fil de fer dans la poudre, le mien consistait à faire tourner la machine sans poudre : le piston venait heurter le fond du métal de la cartouche et au bout de quelques jours, s’écrasait ou se brisait. Il fallait pour cela la complicité de la contrôleuse qui, silencieusement, devait rapporter les cartouches vides auprès de l’ouvrière de la machine. Si quelqu’un surgissait, elle disait ostensiblement : « Il faut remplir les entonnoirs, il n’y a plus de poudre. » Laisser les entonnoirs vides était grave et constituait aux yeux des Allemands un acte de sabotage.
Vilaine lvii affaire au kommando 131.
Une presse a sauté. Dans la salle de chargement des chariots d’obus, vers quatre heures du matin, une prisonnière somnolente a oublié de mettre une charge de poudre au fond d’une douille. Suivez la fatale filière… Dans la salle voisine, la camarade qui aurait dû s’apercevoir de cet oubli, toute dormante elle aussi, n’a rien vu. Une troisième a installé ce chariot sur les rails et l’a lancé de toutes ses forces en direction de la presse. Celle-ci, pressant à vide, a sauté. Cinq heures d’interruption de travail pour la réparer.
L’ingénieur général des usines, rarement dans le pays, se trouvait là, par malchance. Le meister a donc été obligé de rédiger un rapport. Sans la malencontreuse présence du docteur Bach, peut-être l’aurait-il évité ?
Résultat : accusation de sabotage pour six prisonnières. Nous sommes au mois d’août. Les plus pessimistes d’entre nous arriveraient-elles à imaginer que cette accusation, une première fois sanctionnée par une cruelle bastonnade publique, conduirait trois Françaises au gibet de Flossenburg en avril prochain.
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Souffrant lviii simultanément de dysenterie et d’un phlegmon, je suis refusée à l’infirmerie malgré une température de quarante et six dixièmes, et je dois me rendre à l’usine. Ne pouvant vraiment pas travailler, les gardiennes m’ont, autorisée à m’allonger sur un brancard à l’intérieur de l’usine, mais le commandant, faisant sa ronde quotidienne, ordonna que l’on me mit dehors sous une pluie battante, en décembre, en disant que si je ne pouvais travailler, je devais au moins souffrir. Une camarade clermontoise me couvrit de sa chemise qu’elle alla retirer aux w.c. et d’autres, françaises et étrangères, me couvrirent de sacs de chaux vides qu’elles renouvelèrent à tour de rôle durant toute la journée, au fur et à mesure qu’ils étaient détrempés…
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Feu lix d’artifice gigantesque : un train composé de wagons recouverts de croix rouges, mais en réalité bourrés de munitions, touché par un bombardement, explose. Les bâtiments dans lesquels nous sommes enfermées tremblent, basculent, se redressent. Plus une tuile, plus une vitre. Pas une déportée blessée. Peu de temps après, il fallait que les prisonnières aillent chercher la soupe à Holleischen – deux kilomètres aller, deux kilomètres retour. Il fallait des volontaires (à cause des avions).
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