Kommandos de femmes
expliqué :
— Prendre la balle qui arrive sur un plateau. Mettre très peu de laque sur le pas de vis. Visser fort. Serrer avec la clef spéciale…
Quel abruti ! J’étais à une place de choix. Il avait même ajouté :
— Si vous mettez une seule goutte de laque dans la poudre, la balle éclate et le tireur « kapout ».
Le premier lvi jour, je fus enfermée avec une autre prisonnière dans une pièce carrée du kommando 131, pièce au fond de laquelle une puissante presse était entourée d’une énorme tour en maçonnerie. Le chariot de cent cartouches qui circulait sur un rail constituant la chaîne entrait à droite de la tour, par une étroite ouverture. Ma compagne le guidait, le plaçait en s’aidant d’un grand crochet. J’avais la commande de la manette qui mettait la presse en marche, une ampoule rouge me signifiait la fin de l’opération à gauche de la tour, d’où ressortait le chariot que je devais envoyer, par un petit tunnel, dans la pièce voisine. Je fus à peine au courant que la presse coinça, des étincelles commencèrent à jaillir. Un espoir sourd, une joie maligne m’envahirent. Je m’écartai derrière la tour, laissant l’ampoule rouge obstinément me faire signe. Malheureusement, ma compagne s’aperçut de quelque chose de louche et se précipita sur la manette bien que je l’adjurais de rester tranquille :
« Tout va sauter !
— Et après ? »
Elle discuta le coup cinq minutes avec moi, puis convint qu’elle avait obéi à un réflexe de bonne ouvrière, car elle avait déjà travaillé à l’usine, en France. Il nous fallait faire un apprentissage de mauvaise ouvrière. Nous ignorions l’une comme l’autre que pour semblable méfait notre camarade, Françoise, serait pendue, ainsi que deux autres, Hélène et Mimi, pour une raison analogue. La presse sauta une fois de trop : l’ingénieur se fâcha et fit un rapport qui alla à Flossenburg, puis à Berlin. J’entends encore Françoise, la veille de sa mort, me dire avec son lent accent franc-comtois : « Naturellement, j’ai vu que la presse allait sauter ; mais je me suis dit : eh bien, que ça saute ! »
Le lendemain – j’avais encore une forte fièvre –, on me changea pour le vissage des culots ou capsules. Je trouvai là « la Bretonne » petite femme silencieuse, aux cheveux gris, qui vissait, je crois, la même cartouche depuis son arrivée. L’essentiel était de n’avoir jamais l’air de s’arrêter. On dévissait en ayant l’air de visser. Il fallait contrebalancer l’ardeur des « volontaires » et de quelques autres. Nous étions apparemment très dociles et nous nous mettions soigneusement au courant. Les conseils des contremaîtresses nous servirent d’indication pour un petit sabotage : car tout ce qu’elles disaient de ne point faire, nous le faisions immédiatement. « Mettez à peine une goutte de laque sur la vis. » Nous trempions carrément la capsule dans la laque pour obturer la poudre qu’elle contenait et l’isoler ainsi que la poudre de la cartouche. Lorsque, pour une raison quelconque, nous ne pouvions agir ainsi, nous nous rattrapions en ne vissant pas à fond. « Vissez à fond. » Nous ne vissions à fond que les capsules déjà sabotées…
J’ai entendu dire, en Allemagne, que les Français étaient d’excellents mécaniciens qui aimaient beaucoup leur machine ; je suppose qu’ils ne l’ont quand même pas trop aimée en Allemagne. Mais j’étais toujours étonnée de voir le contremaître Kœnig et les mécaniciens Schreier et Hans Weber (surnommé par les prisonnières « le mouchard ») négliger nos machines et laisser les rouages s’encrasser.
Il fallait donc lutter contre l’attrait du travail (je ne parle pas, bien entendu, des primes et récompenses qui ne tentaient guère que les volontaires), attrait auquel nous vîmes avec stupeur deux ou trois femmes, pourtant patriotes, travailleuses excessivement consciencieuses dans la vie, céder bientôt. Je me l’explique très bien. Un jour, la machine se détraqua sans mon aide. Schreier dut, en maugréant, la démonter entièrement et il n’en trouvait point la cause. La langue me démangeait de lui indiquer le défaut que j’avais observé dans le fonctionnement de la presse, et j’étais tentée de bricoler avec lui. Ainsi sommes-nous faits.
Ceux qui connaissent bien le caractère français ne s’étonneront pas si je dis que le sabotage prit parfois
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