Kommandos de femmes
Trente femmes se présentent, dont M me Jean Michelin et moi. Départ. Arrivées à la cuisine de Holleischen : « Alerte ! » Une centaine d’avions dans le ciel. Débandade, affolement. Fuite à droite… à gauche… où on pouvait. J’ai suivi la course de deux soldats allemands. C’est pour moi le souvenir « le plus crucial » de ma captivité : les avions semaient la destruction, la mort. Les hautes cheminées de l’usine s’écroulaient comme châteaux de cartes. Blocs de ciment qui volent dans les airs. Une vague disparaît, une autre la remplace. Je dois mieux m’abriter. Je saute de cinq mètres de haut et j’aperçois une robe rayée cachée sous un wagonnet. Je cours vers elle. C’est Marinette ! Elle a dix-huit ans. Je l’entraîne de force pour nous éloigner de cet enfer. Des Français, qui transportent un grand blessé, nous demandent de fuir. Il faut passer la route proche, dévaler le talus, traverser l’immense pré vert pour essayer de gagner l’abri des saules, le long de la rivière, à l’autre bout. Marinette n’en pouvait plus. Je ne voulais pas la laisser seule. – Nous deux, au milieu de cette immensité verte, à découvert ! Pauvres silhouettes ! Des avions passent au-dessus de nous, nous mitraillent. Plat ventre, nez dans la terre. Les balles sifflent à nos oreilles, frappent autour de nos têtes, de nos corps. Pas une ne nous touche. La main de Dieu ! Marinette ne peut plus se lever. Je suis trop faible pour la traîner (entre deux vagues). Encore dix à quinze mètres. Deux ou trois civils rampent le long des saules. Alors – souvenir inoubliable – de ces saules, deux civils allemands bondissent, se précipitent sur nous. Le plus jeune enlève Marinette et en trois bonds l’emporte vers les saules.
L’autre, plus âgé, me saisit, m’entraîne. Ils nous jettent à plat ventre. Une vague arrive et mitraille. Les deux hommes nous font rempart de leur corps. Les balles giclent dans les saules, dans l’eau proche. Personne n’est touché. Nous continuons, comme tous les autres, à ramper. Nous arrivons enfin à l’abri civil de la ville. Une heure plus tard, à la fin de l’alerte, nous « admirons » la dévastation. Il n’y a plus ni usine, ni route… le chaos indescriptible. Mais dans tout cela que sont devenues mes autres camarades ? M me Michelin ? Le retour au camp est douloureux, angoissant pour moi. En entrant dans la cour… Une prisonnière, seule, au milieu, visage angoissé. M me Michelin !… Nous bondissons l’une vers l’autre…
Cette nuit, d’autres bombardiers viendront, guidés par les brasiers.
5 mai 1945 lx .
Impossible de sortir du camp : le bombardement de la nuit a compromis la stabilité du pont sous lequel il faut passer pour aller au village.
La matinée se traîne… À Bel-Masure, Jacqueline est nerveuse. Pour l’intéresser à quelque chose, nous essayons, Rolande et moi, de retrouver un air de Verdi. Mais que se passe-t-il, tout à coup ? Ces femmes qui courent aux fenêtres, qui crient ?… Des coups de feu, des hurlements ! Allons, allons, laissez un peu de place, il faut voir… voir…
Est-ce possible ?… Est-ce vraiment possible ? Nous avons attendu des mois… Nous avons tenu pendant des mois… Nous avons espéré, serré les dents, surnagé avec peine, et voilà… Regardons toutes, c’est la fin, rapide, simple, si différente du dénouement tant de fois imaginé, défait, reconstruit.
Des hommes vêtus de kaki, comme les soldats français, portant un brassard blanc et rouge, escaladent les murs, sortent de tous les côtés. Des bureaux, du poste de garde, de la cantine des S.S. dans la fumée des coups de feu… Le commandant se rend, les bras levés. L’ober Aufseherin, en blouson S.S. et sans jupe, court dans tous les sens, cheveux hirsutes, affolée. Les Aufseherinnen sortent de leur bâtiment, les mains en l’air, tremblantes, troupe démoralisée et ne comprenant rien à cette soudaine défaite.
Dans un coin de la cour, un soldat de la garnison est étendu sur le sol.
Peu à peu, les nouvelles prisonnières se rassemblent. Ordres clamés en polonais. Dans la cour où surgissent nos camarades du block 3, enfin délivrées, s’exécutent de sombres règlements de compte. La policière du camp n’a plus de cheveux : on les lui a arrachés par poignées. Annie Grafft, le Taureau sont rudement malmenées. La petite Emmi Zimmermann n’a rien à craindre, ainsi qu’Annie
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