Kommandos de femmes
impossible de se laver. L’attente se passe, anxieuse ; il commence à être assez tard.
— Soudain, la porte s’ouvre : c’est Monique, elle est seule.
— En vain, la questionnons-nous sur les autres ; elle nous regarde comme si elle nous voyait pour la première fois. Son manteau est troué dans le bas et tout roussi En silence, elle arpente la chambre et, tout à coup, immobilisée devant un lit, s’exclame :
— « Odette !… Odette !…»
— Nous ne pouvons en obtenir autre chose, elle continue sa marche hallucinée à travers la pièce.
— Du bruit dans le couloir : ce sont les autres.
— Monique, Odette et une prisonnière allemande avaient été désignées pour travailler dans une caserne. Dès que le signal d’alarme se fit entendre et tandis qu’elles-mêmes se dissimulaient dans un bois, les trois autres accompagnées d’une Aufseherin et d’un soldat allemand allèrent se cacher dans un trou. Ils s’y entassèrent tous les cinq, les uns sur les autres.
— Des bombes tombèrent non loin de cet endroit, détruisant la caserne. Odette, la détenue allemande et le soldat furent tués sur le coup.
— Odette, ce matin encore elle était si vivante ! Nous sommes bouleversées.
— Monique, se ressentant encore de la commotion éprouvée, reste silencieuse ; dans un coin, la petite Italienne pleure convulsivement en embrassant sa sœur.
— Ébranlées par toutes ces émotions, nous n’aspirons plus qu’à prendre du repos ; mais à peine sommes-nous installées sur nos lits que le sifflet retentit.
— Dans le couloir, les stubowas commencent à hurler.
— « C’est l’appel… c’est l’appel…»
— Il est tard et personne n’y comprend rien ; néanmoins, nous sommes toutes obligées de sortir.
— Dehors les officiers nous attendent ; le commandant, les S.S., tous écument. Ils nous rangent à grands coups de cravache et en route pour le camp d’aviation.
— Nous ne pouvons imaginer qu’on ait l’intention de nous faire travailler à une heure pareille. Malgré notre fatigue, nous sommes un peu curieuses de voir l’état du camp.
— Justement, nos gardes se dirigent vers le coin où nous nous trouvions ce matin ; quel spectacle ! Partout des trous béants ; la piste défoncée et des carcasses d’avions encore en flammes.
« Propaganda », disaient les S.S.
— Ils sont furieux et, avec force cris, organisent le travail. Pendant longtemps, courbées vers la terre, nous ramassons les graviers épars un peu partout pour aller les jeter dans les excavations creusées par les bombes.
— Tout le long du parcours nous les semons discrètement, désirant rendre la piste inutilisable pour plus de temps encore.
— Et sans cesse, il faut se courber, se lever, se courber encore.
— La nuit tombe et nos silhouettes sont à peine distinctes. Gênés dans leur surveillance, nos gardes décident de nous faire rentrer.
— Dès l’aube, du lendemain, nous repartons ; le même travail acharné nous attend.
— Il a plu ; de temps en temps une bombe à retardement éclate ; nous nous couchons dans la boue.
*
* *
Le 13 avril 1945, les « Françaises » de Rechlin sont ramenées à Ravensbrück ; plusieurs dizaines de survivantes de ce kommando ne pourront supporter les trois dernières semaines de déportation et seront brûlées au crématoire.
*
* *
Ce qui fut le pire lxxvii :
— Ce ne fut pas le froid, si cruel, dont la seule pensée faisait pâlir les plus courageuses, le matin avant l’appel.
— Ce ne fut pas la faim, compagne inséparable de toutes les heures, inspiratrice de nos rêves et sujet de nos conversations.
— Ce ne fut pas le travail, pic si lourd entre nos mains affaiblies ou longues heures de la nuit, debout, devant une machine.
— Ce ne fut pas la saleté, celle de la voisine et la sienne. On s’habitue à sentir courir sur son corps des centaines de poux, à l’odeur de la dysenterie, à la laideur, aux coups…
— …Mais le pire, ce fut de voir mourir ses camarades. L’une après l’autre, elles prenaient ce visage à la fois creusé et bouffi, qui vous faisait penser : « Elle n’en a plus pour longtemps. » Et, un matin, dans la salle où nous couchions, huit cents entassées, sur la terre battue, nous trouvions près de nous un corps déjà froid. Si grande était notre faiblesse que la mort était douce, et facile le passage hors de cette humanité dont nous
Weitere Kostenlose Bücher